[ENTRETIEN] Keiichi Hara


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Vous le savez déjà, Miss Hokusai est notre coup de cœur de cette édition 2015 du Festival international du film d’animation d’Annecy. C’est donc avec un plaisir non dissimulé que nous sommes allés poser quelques questions à Keiichi Hara, son réalisateur, posés à la cool sur la terrasse du Bistrot de Bonlieu pendant une petite quinzaine de minutes.

Courte-Focale : Sur Un été avec Coo, vous n’aviez pas écrit de scénario, préférant travailler sur storyboard, a contrario de Colorful. Qu’en a-t-il été sur Miss Hokusai ?

Keiichi Hara : Cette fois-ci, il y avait l’œuvre originale, le manga Sarusuberi. J’ai donc écrit les grandes lignes du scénario, que j’ai ensuite données à la scénariste (Miho Maruo, ndlr), qui a écrit le scénario.

Pouvez-vous nous parler du travail sonore, qui donne à ressentir la ville d’Edo autrement que par la vue, ce qui est l’un des thèmes du film ?

En fait, le son est bien différent entre l’époque d’Edo, que l’on voit dans le film, et l’époque d’aujourd’hui. Je voulais le montrer. Déjà, les chaussures n’ont rien à voir, le pont que l’on voit dans le film était en bois et les portes de maison également, donc le son n’est pas le même. Je tenais à montrer ces différences sonores.

Quelles sont les différences dans le processus de production entre Sunrise, chez qui vous avez réalisé Colorful, et Production I.G. ?

Il y a bien sûr des différences, mais finalement c’est avec l’équipe artistique que l’on fait des films. Même si on change de studio, il n’y a pas beaucoup de différences puisque ce sont principalement des indépendants qui travaillent dans le milieu de l’animation japonaise. Donc même si j’ai fini par rencontrer de nouvelles personnes, pour moi elles ne sont pas totalement nouvelles d’un studio à l’autre.

En parlant d’indépendants, vous travaillez justement comme tel. Envisagez-vous de créer votre propre studio, comme l’a par exemple fait Mamoru Hosoda avec Chizu ?

Non, pour le moment je n’y pense pas.

Le film parle de beaucoup de choses mais reste toujours très limpide. Quel a été votre mode opératoire pour arriver à un tel résultat ?

Oui, il y a beaucoup d’éléments dans le film et c’était difficile à rendre cohérent. J’ai décidé à un moment donné que le point culminant du film se passerait autour de la relation entre O-Ei et sa petite sœur. À partir du moment où j’ai décidé de ce fil conducteur, j’ai tout fait pour que tout tourne autour de cette relation. Je voulais que le public ne soit pas trop perdu, et ensuite tout est venu naturellement.

En dehors de l’apparition de La grande vague de Kanagawa, l’œuvre de Hokusai a-t-elle influencé votre mise en scène ?

Le but du film n’était pas vraiment d’adapter les estampes de Hokusai, donc je n’ai pas recherché cela et n’ai pas été influencé par son œuvre. Cette fois-ci, je voulais montrer la relation entre deux peintres, père et fille, et la relation qu’ils entretiennent avec les gens autour d’eux. Je n’ai pas pris les œuvres de Hokusai comme références.

Le film se passe il y a 200 ans mais les personnages semblent être nos contemporains. Comment êtes-vous arrivés à une telle proximité ?

Même si l’histoire se passe il y a 200 ans, les êtres humains n’ont finalement pas énormément changé. Je crois que nous avons la même sensibilité. Ce sont les mêmes japonais, je voulais que les personnages que l’on voit dans le film nous ressemblent beaucoup.

Vos neuf longs-métrages d’animation sont des adaptations d’œuvres préexistantes. Envisagez-vous de réaliser un film entièrement original ?

Oui, j’aimerais un jour faire un film complètement original. Mais pour pouvoir faire cela, il faut absolument que j’ai une reconnaisse commerciale, que mes films aient du succès sur ce plan. Pour l’instant, je ne sais pas encore si je peux le faire.

Dans Colorful, Pura-Pura dit à Makoto : « Apprends en ressentant les choses ». N’est-ce pas finalement tout ce que vous avez voulu faire passer avec Miss Hokusai ?

Ressentir est quelque chose de très important pour moi, donc avec Miss Hokusai je voulais que les gens partagent cela. Les gens ont déjà vu beaucoup de films d’époque japonais qui s’intéressent à la même période que mon film, mais il y a quelque chose de nouveau dans Miss Hokusai. Même si cela se passe il y a 200 ans, j’aimerais bien que le film soit vu par le plus grand nombre de gens et qu’ils y ressentent un souffle nouveau. Pour cela, je ne voulais pas que cela passe à travers les dialogues, mais à travers l’image.

Vos films sont très différents du tout-venant de l’animation japonaise actuelle. Quel regard portez-vous sur cette industrie ?

Dans le cinéma d’animation japonais, il semble qu’il y ait deux tendances très extrêmes : d’un côté les films réalisés uniquement pour les otakus, et de l’autre les films très populaires comme ceux du studio Ghibli. Il n’y a que ça, et moi j’aimerais bien faire des films qui n’entrent dans aucune de ces catégories. Je voudrais que mes films donnent du plaisir à la fois aux adultes et aux enfants. Cela ne veut pas dire que les films du studio Ghibli s’adressent uniquement aux enfants : ils s’adressent évidemment aux familles, à tout le monde, mais j’aimerais faire des choses d’un nouveau style, différentes de Ghibli mais qui pourraient êtres vues par le plus grand nombre.

Propos recueillis à Annecy le 19 juin 2015. Un immense merci à Aurélie Lebrun pour avoir rendu cette interview possible.

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