[ENTRETIEN] Katell Quilléveré

Avec Rebecca Zlotowski, Katell Quillévéré était l’autre jeune réalisatrice qui donnait l’impression – au dernier Festival de Cannes – de ne se révéler pleinement qu’avec son deuxième long-métrage. Loin de la timidité d’Un Poison violent (2010), Suzanne affirme ses choix tranchants et ses ambitions admirables. Ce « biopic d’une inconnue », comme le décrit la cinéaste, s’étale sur rien moins que vingt-cinq ans. Il le fait sans jamais s’ankyloser dans une reconstitution lourde mais toujours en restant projeté dans la fuite en avant, lyrique et terrienne, de son héroïne, avec elle, même quand ce n’est qu’en pensée. Son empathie avec ses personnages est telle que Katell Quillévéré ne pouvait qu’être une personne d’une grande gentillesse et d’une sensibilité touchante. Mais elle n’est pas que ça. Après plus d’une heure d’entretien – qu’elle a su rendre dense à en craquer par ses propos précis et fluides -, on a la confirmation qu’elle est une cinéaste à la maîtrise impressionnante pour le stade peu avancé de sa carrière. Disons-le : elle a tout d’une future grande.

Courte-Focale : Votre ressemblance physique avec Sara Forestier nous avait frappés la première fois qu’on vous a aperçue en chair et en os. En outre, le personnage naît la même année que vous, en 1980. Quel est l’apport autobiographique qui a contribué à la genèse de Suzanne ?

Katell Quillévéré : Il me semble qu’il y a une tendance étrange de l’acteur, qui se vérifie peut-être dans le cas de Sara sur ce film-là, à se mettre à ressembler au metteur en scène dont il se fait le relai. Il peut en prendre des petites mimiques discrètes, etc. Mais si vous nous voyiez maintenant l’une à côté de l’autre, vous verriez qu’on ne se ressemble pas tant que ça… Quoi qu’il en soit, la direction d’acteur est quelque chose d’extrêmement intime, on peut déjà faire passer beaucoup de choses par elle. Il fallait qu’on ressente une émotion d’abord dans le visage. Alors oui, Sara me ressemble peut-être un peu dans le film, mais moins dans la vie. L’âge de Suzanne en revanche était important car je voulais avant tout faire une saga ou un biopic, celui d’une inconnue, qui s’étalerait sur vingt-cinq ans. J’ai choisi naturellement les époques que j’ai vécues pour pouvoir les retracer avec justesse et parce que j’avais aussi envie de parler à ma génération, que le film soit fédérateur grâce à la jeunesse d’une époque. C’est donc à la fois une question d’empirisme, de vécu, et une envie personnelle. Je fais des films avec les gens de ma génération, qui ont quasiment tous mon âge, que j’ai rencontrés à la fac, qui ont fait mes courts-métrages… On a grandi ensemble sur les plateaux et on a fait ce film ensemble pour nous et pour ceux de notre génération, tout en espérant bien sûr qu’il touche bien au-delà.

Vous parlez de saga, mais en faisant de Suzanne le personnage titre, on pourrait penser que tout le film va s’axer sur elle alors que c’est un personnage qui disparaît, qui s’efface parfois pour laisser exister les deux autres personnages, le père et la soeur. En fait le film est construit autour d’un trio…

Oui et non. J’ai construit ce film avec la même structure que mon précédent film, Un Poison violent. Ce que j’aime, c’est construire des films qui soient à cheval entre la chronique, c’est-à-dire le fait d’accompagner un personnage principal de manière forte, et la structure chorale, que je n’aime pas beaucoup. J’essaie d’être pile à la frontière entre les deux, ce que j’avais déjà expérimenté avec Un Poison violent et que je voulais renouveler avec ce film en allant encore plus loin dans la démarche. Au point que je m’autorise à faire disparaître mon personnage principal, à ne pas décider, dans le premier quart d’heure du film, qui en est la figure centrale : on ne sait pas « de qui » sera l’histoire. C’est un pari assez dangereux d’ailleurs, des spectateurs peuvent se demander au début du film quel en est le sujet. Pourtant, tout est assumé et Suzanne reste la colonne vertébrale du film. Le titre agit comme un guide car tout passe bel et bien par Suzanne, tout circule autour d’elle, même l’empêchement de se dire qu’on s’aime. Et lorsqu’elle s’absente, les scènes sont construites en écho autour d’elle. Il n’y a aucune scène dont Suzanne est absente et qui ne parle pas d’elle : c’est un traitement du personnage principal par le négatif. Je pense que c’est un choix de modernité de proposer au spectateur un personnage qui ne s’assume pas dès la première minute et qu’on peut ne pas aimer tout le temps. Suzanne est une fille qui nous dérange, elle est ambivalente et nous échappe souvent. Ça aussi c’était un pari.

La temporalité participe de ce mécanisme. Elle est à peine discernable, elle fonctionne grâce à l’ellipse et n’est jamais explicitée avec exactitude par des éléments ancrés dans le décor. On la sent plus qu’on ne la détermine…

Absolument. Ça ne m’intéressait pas de faire de la reconstitution. Je voulais que le spectateur, de manière sensorielle, retrouve la sensation de la paternité, de la fraternité, de l’expérience du deuil et de tout le reste. Je pensais que ça fonctionnerait si on ne se posait aucune question, sans nommer les époques, en jouant sur les niveaux de conscient et d’inconscient. On comprend que le temps passe grâce à un minitel dans le fond du plan, un détail dans le décor, une matière de vêtement qu’on a tous porté à une époque, comme le t-shirt Mickey des années 1980 ou les rollers Fisher Price. C’est presque une sociologie des objets des Français à différentes époques.
Mais il y a aussi une contrainte économique. Au cinéma, on est toujours soumis à des partis pris qui sont souvent liés à des empêchements. Très clairement, mon budget ne me permettait pas de remplir des rues entières de voitures des années 1980. Mais souvent la reconstitution empêche le réel. On se cherche des voitures d’époque : la plupart du temps, seuls des collectionneurs en ont et elles sont alors dans un état trop neuf par rapport à l’effet d’authenticité que l’on recherche. Résultat ? Ça ne fonctionne pas. D’un côté ça m’arrangeait sur le plan esthétique de ne pas avoir affaire à cette contrainte de la reconstitution réaliste pour être plutôt dans une forme d’épure.

Le personnage de Charlie, le fils de Suzanne, nous donne en revanche des repères clairs : on le voit grandir, 3 ans, 8 ans, 15 ans…

Je me suis vraiment basée sur une sensation de la vie qui veut que seule l’enfance, d’une certaine manière, nous fasse prendre conscience du temps qui passe. L’enfant qu’on voit grandir et changer « à toute vitesse » nous renvoie à notre temporalité d’adulte qui est différente de celle des enfants. A partir de ce ressenti-là, je voulais que ce soit Charlie qui nous raconte le temps qui passe, le temps perdu, qu’il nous fasse comprendre nos renoncements et nos choix. Charlie est en effet extrêmement utile au spectateur pour cette raison.

Mais il y a aussi François Damiens, sur qui j’ai le plus misé concernant la transformation physique. Sara Forestier n’aurait pas supporté les prothèses, elle est encore trop jeune et a un visage à la peau très lisse, l’artifice du maquillage se serait trop vu. En revanche, François est très malléable physiquement. On pouvait facilement le rajeunir et le vieillir grâce à des perruques, des prothèses faciales, des faux ventres, etc. C’est subtil mais ça marche pour faire de François un des piliers du temps dans le film. Pour Sara, j’ai fait le pari que tout passerait par le jeu : c’est la maturité de son jeu qui donne l’âge de son personnage. Et j’aime l’idée que le fait que son personnage change très peu physiquement indique quelque chose d’immuable en elle, comme une sorte de détermination qui nous dépasse et qui lui permet de traverser le temps sans prendre le temps.
Pour en revenir à Charlie, au-delà du repère temporel, il est l’un des personnages les plus importants du film, même si on le voit très peu. Il porte le sens du film et c’est pour ça que je termine sur son visage. Pour moi, Suzanne est un film sur la résilience, c’est-à-dire comment pouvoir, au-delà des difficultés de la vie et de ses violences, tenir debout en ayant pris, enfant, l’amour là où on pouvait le trouver. Charlie, c’est ça : il est l’équilibre fragile du film entre mort et vie, entre souffrance et joie, mais il tient debout et il danse en plus. Finalement, la pulsion de vie peut être plus forte, ce qui fait de Suzanne un film d’amour avant tout.

Un plan nous a marqués : cette plongée filmant Suzanne et Julien qui n’arrivent pas à se quitter. Ici se mêlent l’étrangeté du réel, capté de loin, presqu’à leur insu – c’est à se demander si les personnages autour d’eux sont au courant du tournage – et la force de leur amour…

Vous avez bien deviné : les « figurants » n’en sont pas. Ils sont d’authentiques passants marseillais qui ne réalisent pas qu’on tourne un film. Il y a dans le film une grande influence de la photographie américaine, notamment celle des coloristes des années 1970 comme Stephen Shore et William Egglestone. Ce sont eux qui ont donné ses lettres de noblesse à la photographie couleur, puisqu’avant la « vraie photo d’art » était en noir et blanc. Ils ont eu une vraie esthétique documentaire, près du quotidien parfois trivial des individus, en s’intéressant aux objets des gens, tout en étant très exigeants artistiquement. Le plan que vous mentionnez renvoie à cette logique esthétique qui intègre le social dans l’image sans faire du tout un film social. Cette frontière entre le documentaire et l’esthétique me parle beaucoup.
Je crois qu’on peut avoir deux démarches quand on fait un film, synthétique et analytique : soit on filme une synthèse du monde, soit on part du principe inverse, s’ouvrir au monde pour lui faire parcourir un chemin vers soi. Moi c’est ce sens-là, le second, que j’aime. Donc il y a des plans qui sont parfois des incursions quasi-documentaires dans la fiction. Je choisis, dans la scène dont vous parlez, d’être en hauteur pour filmer cette rue de Marseille afin de capter quelque chose qui va m’échapper, de l’ordre du réel brut. Mais c’est aussi très maîtrisé : je donne aux acteurs des indications claires de déplacements. Avec Un Poison violent j’ai regretté d’être trop dans la maîtrise, presque trop scolaire. Je trouve maintenant que plus on maîtrise, plus on fait et plus on est capable de lâcher prise, ce qui implique la possibilité de rajouter des éléments qu’on n’avait pas prévus. La pluie se met à tomber ? Tant mieux ! Il faut l’intégrer précisément parce qu’on sait déjà ce qu’on cherche. Cette ouverture, c’est une force.

Vous choisissez une narration extrêmement elliptique qui amène une certaine sécheresse narrative. Pourtant, le film reste bouleversant. Comment avez-vous géré cette ambivalence entre sécheresse narrative et pathos ?

Je suis très contente que vous disiez ça car c’est exactement ce que j’ai cherché à faire. Pasolini disait que dans un film, il fallait qu’il y ait de la collision, des contradictions. Si tout converge, c’est du chloroforme. Donc j’ai cherché le contraste, notamment entre le mode de récit, qui en effet est sec, et la chair des scènes qui elle est très humaine, très pleine. Je voulais de la radicalité et de la modernité dans mon film tout en gardant de l’empathie et de l’amour pour les personnages, qui est pour moi la chose la plus importante au cinéma.
Concernant l’émotion, je me demandais sans cesse comment garder de la place pour que le spectateur puisse libérer ses émotions et que le film ne devienne pas trop pesant. Pour me laisser de la marge pour orchestrer ça, pendant le tournage, j’ai mis en place une méthode : pour chaque scène « forte », je demandais aux acteurs de me proposer cinq solutions émotionnelles de jeu que je pourrais choisir au montage. Le vrai moment de maturité dans un film, c’est le montage. Il n’y a qu’à ce moment qu’on comprend son film, où est-ce qu’il est fort, où est-ce qu’il est touchant. J’avais la chance d’avoir des acteurs très bons – des stradivarius! – qui m’ont permis de doser et d’être dans la nuance parce que voulais que le film soit extrêmement pudique. Je viens d’une famille où l’on exprime peu ses émotions et ce que je cherche au cinéma reflète cette dualité-là : j’ai tendance à retenir d’une part et à rechercher l’émotion d’autre part.

L’émotion résulte aussi d’une absence de jugement psychologique de votre part, qui nous laisse beaucoup de place pour nous questionner sur l’héroïne. Suzanne reste un personnage romanesque toujours en fuite, dont les décisions nous échappent souvent…

Tout à fait. Le cinéma n’est pas l’endroit de la moralité, pas du tout. La société, oui. Le cinéma a la possibilité de se placer ailleurs, au-delà du jugement, dans l’humanisme, comme le font les films de Renoir. Le cinéma est plutôt le refoulé de la société, il nous permet d’être dans la tête de chaque individu au lieu d’être dans un rapport au collectif. Le film humanise Suzanne, personnage qui serait immédiatement jugé dans la société. L’abandon d’enfant par une mère est un énorme tabou : je raconte comment il est possible d’aimer son enfant et de l’abandonner. A partir de là, j’ai creusé.

Parce que ce qui reste, c’est l’amour fondamental, celui qui l’aide à survivre, qu’il soit procuré par telle ou telle personne…

Oui parce que le temps passe mais Suzanne, malgré tout, continue d’aimer.

Dans le rôle du père, François Damiens est éclatant. On a peu l’habitude de le voir aussi tendre, affectueux, enrichi et… bel homme !

Je suis ravie que vous disiez ça car avant toute chose je trouve François très bel homme ! Et je voulais le montrer. C’est une personne qui a énormément de charme, avec sa carrure à l’américaine.

La cadette Maria (Adèle Haenel) est plus grande que son aînée Suzanne, mais ce n’est pas qu’un détail physique. Les corps nous disent quelque chose de leur relation…

C’est sûr ! Un corps au cinéma raconte autant de chose qu’un visage. Quand j’ai vu Adèle, avec qui je voulais travailler depuis longtemps, j’avais bien sûr déjà retenu Sara pour le rôle-titre. Le choix d’en faire des soeurs n’allait pas forcément de soi, mais je trouvais intéressant que la plus petite soit la plus grande. Ça raconte dès le départ quelque chose de leur relation : avec son corps plus terrien et viril, cette petite sœur joue un rôle de substitution maternelle. Suzanne, qui est plus fragile physiquement, est celle qui endure le plus d’épreuves et celle qui, in fine, résiste. Je trouvais la contradiction très riche.

Le physique de Paul Hamy participe de ce même mécanisme : sa carrure contredit son visage d’ange et le corps dit quelque chose de très fort du personnage…

Le choix du casting est allé de ce côté-là : le personnage de Julien devait avoir une beauté et un charisme assez forts pour qu’on tombe amoureux de lui en même temps que Suzanne, puis il fallait qu’il ait une douceur, quelque chose d’inattendu qui puisse raconter en peu de temps que cette histoire d’amour était vraie. Il donne quelque chose à Suzanne malgré tout. Tout le pari était de le faire vieillir au sens où il doit devenir dangereux à un moment du film. Assurer le passage entre le petit magouilleur, le cavaleur et le bandit. Le parcours de ce garçon est celui de quelqu’un qui devient un vrai délinquant. Dans la dernière partie, il endosse une certaine noirceur en même temps qu’il devient père…

Le pari narratif du film, ce sont essentiellement les creux que vous disposez régulièrement mais qui participent du récit. Avez-vous « élargi les trous » au montage ? Et avez-vous lancé le même défi aux acteurs en les laissant imaginer ce qui se passait durant ces grandes ellipses temporelles ?

Pour ce qui est du montage, oui, c’est là que j’ai poussé encore plus loin la radicalité narrative du film. Le montage peut être très bizarre, il guide un réalisateur, il fait se dire « ça j’en veux, ça j’en veux pas », tout ce qu’on ne pouvait pas déterminer à l’avance. Il permet de comprendre tout à fait le film qu’on a fait en comprenant ce qui est en trop. Au montage, j’ai dû enlever un tiers de ce que j’ai filmé car le film n’en supportait pas plus. Même si j’adorais certaines séquences filmées, elles s’annulaient au fur et à mesure du montage. Je ne peux même pas vous donner d’exemple de ces scènes car il ne reste qu’un film, celui que vous avez vu. Concernant les acteurs, ils n’en savent pas plus que le scénario, mais eux avaient en avait un tiers en plus par rapport à ce que vous avez vu ! (rires)

Le passage du temps est également identifié par le spectateur grâce à vos choix de musiques non originales. On se trompe si on voit cette bande-son comme un grand juke-box de votre jeunesse ?

Non, c’est vraiment ça ! Je voulais que le son du film en soit un de ma génération, qu’il soit rock, grunge parce que c’est ça qu’on traversé au milieu des années 1990. J’ai cherché quelques sons fédérateurs, jubilatoires de cette époque : pour moi, il ne pouvait pas ne pas y avoir une chanson de Noir Désir. Courtney Love, pareil : c’était obligé pour moi que mes personnages écoutent ça ! Puis, plus pour les années 2000, il y a Electrelane, un groupe de rock féminin. J’ai demandé à la chanteuse du groupe, Verity Susman, de composer des morceaux originaux. Pour tout vous dire, je suis carrément partie d’un morceau d’elles, Suitcase, pour penser tout le rythme du film. Mon rapport à la musique va très loin, il n’arrive absolument pas comme une dernière étape de post-production : parfois, elle m’aide vraiment à « trouver » une scène… Elle peut donc avoir un rôle structurant, même si cela se passe peut-être au niveau inconscient pour le spectateur. Si on prête bien attention à la bande-son du film, on remarque que les morceaux fonctionnent en écho : la musique est comme la mémoire du film. On entend un morceau une fois et on le retrouve plus loin en une version légèrement différente : ça aide à construire notre relation émotionnelle au personnage, via notre mémoire sensorielle. Je peux donner un exemple : la musique du premier baiser entre Suzanne et Julien dans le tunnel renvoie à la toute première scène, le spectacle de l’école. Dans les souvenirs que j’ai de mes spectacles d’enfance, j’ai cette impression que l’on vit plus à ces moments-là, comme quand on tombe amoureux. J’ai toujours cru que quelque chose de l’enfance se rejouait dans le premier amour…

Chez vous comme chez plusieurs des cinéastes de votre génération, Mia Hansen-Løve, Rebecca Zlotowski ou Yann Gonzalez, on sent un rapport très fort à la musique. Vous choisissez beaucoup de morceaux déjà existants, parfois très disparates entre eux, et leur laissez une place importante dans vos films. Cette musique sert à plonger pleinement dans les sentiments de vos personnages.

Je pense qu’à partir du moment où l’on est cinéaste, la musique doit faire partie de notre vie, au même titre que la photo – j’allais dire que le théâtre, mais j’ai plus de mal! -, que l’art en général. Il est important de se nourrir de tous les arts pour faire un cinéma riche. Et la musique dans un film, ça se réfléchit profondément, et si on se respecte, elle doit être excellente dans son film, tout simplement parce qu’on veut faire un film excellent… Pour ce qui est de ce qui me rapprocherait de certains autres cinéastes, je crois que c’est une absence de peur qu’on a de mettre de la musique dans nos films, tout simplement. On associe souvent quelque chose d’impur à la musique au cinéma : il ne faut pas en mettre trop, il ne faut pas qu’elle vienne illustrer l’émotion parce que c’est « sale », tout ça… C’est peut-être ce genre de réflexions qu’on ne se fait plus, nous. On préfère la pure jubilation dans l’émotion.

On relève quelque chose de peu fréquent au casting d’un film français : la présence d’une conseillère artistique, qui n’est autre qu’une costumière de renom, Virginie Montel.

C’est effectivement quelque chose de très singulier puisque ça part de mon envie de travailler avec elle après avoir vu et apprécié son travail sur les films de Jacques Audiard. Souvent, je trouve que le costume au cinéma est juste illustratif, naturaliste, qu’il se contente d’être là en quelque sorte. Alors que chez Audiard, je trouvais qu’il parvenait à raconter réellement quelque chose du personnage. Le problème, c’est que je n’avais pas les moyens de me payer les services de Virginie Montel ! Alors elle m’a proposé quelque chose : travailler uniquement sur la préparation et pas sur le tournage. Elle me disait avoir de plus en plus envie de ça : travailler, à partir de photographies ou autres, à une sorte de charte esthétique du film avant d’entrer dans la phase de shopping. J’ai adoré cette idée ! En plus, nous sommes toutes les deux des fans de photos : on a passé des journées entières à en scanner des tonnes, notamment d’Eggleston dont je vous ai parlé. On s’est retrouvé à élaborer toute une bibliothèque visuelle par décor et par personnage. On y liait à chaque fois des images, de manière rationnelle ou pas. On s’est retrouvé avec un truc énorme qui est devenu la Bible du tournage pour le chef op’, la chef déco’ et la chef costumière. C’était génial : on avait réellement tout un imaginaire préalable au film ! C’est une méthode déjà très implantée aux Etats-Unis et dont je pense qu’elle va arriver de plus en plus en France…

Vous avez tourné en numérique. Pouvez-vous nous parler de ce choix, nouveau pour vous ?

J’avais assez peur du côté époque et reconstitution avec une image très contemporaine. En fait, je n’ai pas eu le choix. Tourner en pellicule m’aurait coûté 150 000 euros de plus et j’ai préféré mettre cet argent ailleurs. Mais j’ai adoré tourner en numérique. Je ne dirais pas que le résultat est à la hauteur de la pellicule, mais il est tout à fait honorable. Je n’ai pas eu de frustrations visuelles, je trouve par exemple que, dans les nuits, le numérique est devenu plus riche que la pellicule. Mais surtout, le numérique détend énormément au moment du tournage. On peut faire plus de prises, anticiper des recadrages potentiels… Un plan large peut devenir un plan serré que je redécoupe au montage. Même si tout mon découpage était pensé avant le tournage, il n’en reste pas moins que très souvent j’ai opté au montage pour un recadrage qui me semblait plus pertinent. On peut aussi, grâce au numérique, rattraper des erreurs de lumière – parce qu’on en fait forcément. Cette liberté est une vraie richesse.

Propos recueillis à Lyon le 25 novembre par Tristan Bergé et Gustave Shaïmi
Merci à Christophe Chabert du Petit Bulletin dont certaines questions sont reprises ici

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