La saga Scream ou l’apogée du méta-slasher

Nous avons le grand plaisir d’accueillir une nouvelle plume sur Courte Focale ! Pour retrouver plus de textes d’Antoine, on vous encourage à aller découvrir son blog consacré à la pop culture : Pop Fiction (et comme diraient les Youtubeurs « likez, partagez, parlez-en autour de vous» etc, etc).

 

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Le cinéma et plus particulièrement le cinéma d’horreur a toujours aimé jouer avec la notion de point de vue, notamment celui du spectateur. En cherchant souvent à le tromper ou à le rendre mal à l’aise, comme durant la scène d’ouverture d’Halloween de John Carpenter où la révélation de l’identité du tueur laisse le spectateur pantois. Jouer avec les attentes du spectateur, miser sur ce qu’il pense connaître du film qu’il regarde, c’est ce que Kevin Williamson et Wes Craven auront cherché à faire à quatre reprises grâce à cette saga d’horreur culte : Scream.

Né d’un scénario original écrit par Kevin Williamson (dont le titre original était Scary Movie) Scream arrive dans les salles obscures à une période pauvre en ce qui concerne le cinéma d’horreur américain ; les célèbres franchises des années 80 sont en perte de vitesse et il ne reste alors que quelques coups d’éclats (Braindead, Dellamorte Dellamore,Candyman) qui séduiront les afficionados du genre sans toutefois toucher le grand public. Véritable succès au box-office, la saga Scream sera LA saga d’horreur des années 90 et influencera d’ailleurs toute la seconde moitié de cette décennie, à coup de parodies, de pastiches, de références intertextuelles ou en tant que simple source d’inspiration.

Connaître les codes pour survivre

Ce que l’on retiendra de Scream, c’est son traitement méta du cinéma d’horreur et plus particulièrement du slasher, sous-genre phare de la décennie précédente justement. Jamais parodique, le script de Williamson appose plutôt un regard moqueur sur certains apparats du slasher sans pour autant désamorcer les véritables moments de tension de son scénario. Ce traitement méta du film est incarné par le personnage de Randy, lui-même un passionné de cinéma dans la diégèse du film. Au début du film, alors qu’il travaille dans un vidéo-club, il cite le film Prom Night pour appuyer son argumentation sur la culpabilité du personnage de Billy Loomis (clin d’œil à Halloween au passage) ainsi que pour expliquer que tout le monde peut être un suspect potentiel.

La seconde scène cruciale concernant Randy arrive plus tard dans le film lors de la soirée qui fait office de climax du film. Randy ainsi que les autres convives de la soirée regardent Halloween de John Carpenter, le maître étalon du genre en ce qui concerne le slasher. Une nouvelle fois, Randy va démontrer toute sa connaissance du cinéma d’horreur et de ses «règles », des règles qui permettent à ceux qui les suivent scrupuleusement de rester en vie. L’intelligence de cette scène et de la scène du vidéo-club, c’est de ne jamais laisser le spectateur novice sur le carreau. Les amateurs de films d’horreurs apprécieront ce regard amusé concernant le cinéma qu’ils apprécient déjà, tandis que les autres grâce au personnage de Randy rattrapent leur « retard ». C’est là où Scream fédère autant son public : en s’adressant autant à l’expert qu’au novice, il embarque tous ses spectateurs à bord de son train-fantôme.

Mais le film ne fait-il qu’adresser des clins d’œil au spectateur pour flatter son égo cinéphile ? Pas tout à fait. Lorsque Randy évoque un autre film d’horreur dans Scream c’est toujours pour en tirer une leçon. C’est là où la dimension méta se révèle à son paroxysme : les codes narratifs deviennent une règle à suivre dans la diègèse du film. Pour Randy, il faut désormais suivre les codes de la fiction pour survivre dans le réel, ainsi la connaissance de ces codes s’avère être une compétence supplémentaire. Cependant, le film fera plusieurs fois mentir le personnage en bafouant les trois fameuses règles : l’alcool coule à flot, Sidney a des relations sexuelles, etc .. Le scénario expose ainsi ces règles pour mieux s’en affranchir par la suite et moderniser un genre qui tournait en rond depuis plusieurs années.

Simulacre et représentation

Succès oblige, une suite de Scream est mise en production alors que le premier opus est encore en salles, une rapidité qui s’explique aussi par le fait que Williamson avait déjà imaginé les grandes lignes des 2 films qui suivront. Scream 2 sortira l’année suivant (en 1997) et verra cette fois-ci Sidney rejoindre l’Université et affronter à nouveau la menace d’un duo de tueurs. Ici, Williamson va organiser son récit autour d’une thématique récurrente, celle du simulacre. En effet, c’est à partir de cet opus qu’émerge au sein de Scream la saga Stab qui n’est autre que l’adaptation du drame de Woodsboro du premier film. Là où Scream cherchait à éviter les pièges et les clichés du genre, son adaptation diégétique les embrassera tous et sera présentée comme une série B racoleuse et navrante. Ce jeu de poupées russes sera présent dans tous les autres films de la saga jusqu’à trouver son apogée dans la scène d’ouverture du quatrième opus.

La scène d’ouverture montre justement un couple se rendant à l’avant-première de Stab, on voit alors le public réagir au film comme les adolescents réagissaient à Halloween de Carpenter dans le premier opus. Le film ne cessera jamais d’alterner entre réalité et fiction et c’est notamment le cas durant cette scène d’ouverture. Il y a d’abord la fiction présente sur l’écran de cinéma, une fiction qui envahit la réalité aussi grâce aux nombreux costumes offerts aux spectateurs du films. Tout autour d’eux certains rejouent des scènes du premier film et se font peur. La fiction envahit la salle de cinéma et rejoint ainsi la réalité lorsque le couple est finalement assassiné dans l’indifférence la plus totale, le public pensant que ce meurtre fait aussi partie du spectacle. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le personnage interprété par Jada Pinket Smith retourne devant l’écran, à la source de la fiction, avant de mourir sur scène comme ça sera le cas pour d’autres personnages du film ensuite.

La puissance de la fiction

L’autre thématique du film concerne la puissance de la fiction. Après le double meurtre de la scène d’ouverture, on bascule dans un cours de cinéma où le professeur demande à ses élèves si le film est responsable de la mort de ces deux étudiants. Dans le climax final, Mickey un des tueurs explique à Sidney qu’il compte blâmer le cinéma car il juge que le 7e art est le principal responsable de ses actes et de sa folie. Il poursuit en expliquant qu’il compte faire de son procès un véritable spectacle, une nouvelle représentation quasi théâtrale. En effet, Scream 2 est un film où les personnages sont constamment en représentation, Sidney qui interprète Cassandre au théâtre, un personnage à travers lequel elle exprime ses ressentiments les plus profonds et surtout embrasse la portée tragique de son existence. Qu’il s’agisse ensuite de Cotton Weary, lui aussi en représentation constante dans le but de vouloir se racheter auprès du public, de Derek qui se met à chanter en plein milieu de la cafétéria pour convaincre Sidney de sa bonne foi, les personnages de Scream 2 tente tous d’échapper à leur image projetée dans le premier opus, même ceux qui n’y apparaissaient pas physiquement comme la mère de Billy Loomis.

Vient alors le climax, qui comme à chaque fois dans cette saga, est une mise en scène orchestrée par les tueurs (écueil déjà présent dans le premier Halloween), toujours excité à l’idée de dévoiler leurs plans tels des scénaristes d’une réalité qui finit toujours par leur échapper. Ici, en accord avec la thématique du film, le climax se joue sur la scène d’un théâtre. C’est d’ailleurs ici que les masques tombent et que la mère de Billy Loomis révèle son identité devant un Mickey extatique devant une telle révélation. Mickey qui sera finalement tué par la mère de Billy, le film désamorçant ainsi son propos sur la responsabilité de la violence au cinéma pour se concentrer sur des enjeux humains, mais tout aussi irrationnels. En ignorant ses responsabilités de parent, la mère de Billy Loomis se dédouane aussi de ses actes.

Une nouvelle fois, Sidney va s’emparer de la mise en scène établie par les tueurs pour la retourner à son avantage, comme Gale et Dewey plus tôt dans le film, elle s’empare des coulisses et utilise alors les accessoires et les artifices de la fiction pour vaincre son ennemi à son propre jeu. La fumée envahit la scène, le décor s’écroule, les projecteurs chutent, c’est la fin du spectacle, la destruction de la fiction.

Body double

Vient alors le temps de Scream 3 sorti en 2000, toujours réalisé par Wes Craven mais cette fois-ci sans Kevin Williamson au scénario, écarté du projet pour cause de différents créatifs. Il est remplacé par Ehren Kruger, une scénariste passe-partout au travail souvent impersonnel mais dont les nombreuses années passées à écrire sur des projets divers à Hollywood a dû aider pour l’écriture de cet opus. Résultat, le film souffre d’une trop grande timidité en ce qui concerne l’horreur pure (les apparitions fantomatiques de Maureen Prescott semblant encore plus hors de propos) et oublie par moments que le succès des premiers films résidait dans ce mélange parfait d’horreur et de légèreté. Néanmoins il reste de ce film une très belle comédie noire et satirique sur Hollywood et ses dessous pas toujours glorieux, bien aidé par l’aide au scénario de Carrie Fisher, script doctor sur ce troisième opus.

Cette fois-ci, les protagonistes de la saga sont amenés à rencontrer leurs doubles fictionnels à travers le tournage de Stab 3, ces derniers iront même jusqu’à collaborer ensemble (mention spéciale à la géniale Parker Posey dans le rôle de Gale Weathers) durant l’enquête. Les traumas de ces personnages font désormais partie de la culture populaire du monde dans lequel ils évoluent. Si Scream 2 évoquait le thème de la puissance de l’art, Scream 3 s’amuse à en montrer les coulisses, à défaire les mises en scènes et à désamorcer l’étiquette du rêve hollywodien à grands coups de carrière ratés et d’abus de producteurs. La fiction et la célébrité ne fait plus rêver désormais.

Malgré tout ce décorum factice exposé comme tel, l’émotion revient lorsque Sidney découvre ou plutôt redécouvre le lieu du climax du premier film. Ce décor apparaît ensuite à Sidney comme une reconstitution macabre du meurtre de Tatoo incarnée par Rose McGowan, avant de rejoindre une réplique de sa chambre d’adolescente où comme par magie, la puissance du cinéma se démontre à nouveau dans sa capacité à faire oublier son aspect factice pour susciter l’émotion du spectateur. Ici, le spectateur est autant le public que le personnage de Sidney, les deux sont autant conscient de déambuler dans un univers de fiction pourtant les souvenirs reviennent et Sidney revisite son adolescence et les fantômes de son passé tandis que nous revisitions les souvenirs que nous avons du premier film. Si chacun des tueurs des précédents films se voyaient comme les réalisateurs de leurs propres films et par extension de leur propre vie, le tueur (car il y en qu’un cette fois-ci) apparaît et se désigne comme le réalisateur ultime de la saga, ayant manipulé les tueurs du premier opus. Un tueur quasiment révisionniste dont on ne saura jamais s’il était présent dans le script original de Kevin Williamson.

Il faudra attendre près de onze ans pour voir un nouvel opus de la saga sur les écrans avec la réunion de l’équipe d’origine, du cast original en passant par le directeur de la photographie Peter Deming et du scénariste et créateur original Kevin Williamson. En onze ans, le cinéma d’horreur a eu le temps d’évoluer et de reprendre une place importante au box-office, les remakes de grands classiques se multiplient et la vague de torture-porn initiée par Saw entraîne des suites à répétition. Ainsi, ce retour de Scream va se muer en commentaire du cinéma d’horreur actuel, là où la saga avait pour habitude de moquer les codes du genre horrifique en général. Ici la scène d’ouverture s’attaque avec malice aux sagas d’horreur qui multiplie les suites au mépris du bon sens, tout en poussant la logique méta de la saga Stab à son paroxysme, voir même jusqu’à l’absurde.

Faire face au mythe

Les protagonistes du premier épisode vont cette-fois ci être confrontés non pas à leurs doubles hollywoodiens mais à une nouvelle génération qui a grandi avec ces crimes et ses icônes. Ici ce sont les thèmes de la célébrité et de la légende qui sont au cœur du récit : comment grandir aux côtés d’une icône comme Sidney, comment exister ? Comment aborder un mythe, comment se l’approprier ? À ces questions, Craven et Williamson apportent finalement une réponse cinglante en faisant dire à Sidney Prescott : « on ne déconne pas avec l’original ». Une façon de dire qu’avant d’avoir l’ambition de dépasser un mythe ou une œuvre, il faut d’abord en respecter l’essence et la portée.

Après avoir énuméré les différents tropes et codes du slasher dans les précédents films, Scream 4 sait qu’il a désormais affaire à un spectateur averti, le film à travers ces personnages se demande alors comment surprendre ce dernier. Et face au cynisme et à la déconstruction, la seule réponse possible est le classicisme comme ultime manière de prendre les attentes du public à rebours. Si Williamson s’est longtemps exprimé à travers la déconstruction, il en démontre ici les limites. Les nouveaux personnages du film, notamment Jill la tueuse, sont obsédés par les icônes qu’ils essayent de dépasser et sont déçus lorsqu’ils ne sont pas à la hauteur ( Jill à propos de son petit ami, qu’elle trouve fade en comparaison avec Billy Loomis ). En cela, Craven et Williamson considèrent leur premier film comme un sommet indépassable, à mi-chemin entre la prétention et la lucidité et c’est Sidney qui résumera le mieux leurs intentions…

 

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