Violet Evergarden – Le Film : La mélancolie de Kyoto Animation

REALISATION : Taichi Ishidate
PRODUCTION : Kyoto Animation
AVEC : Yui Ishikawa, Daisuke Namikawa, Takehito Koyasu, Hidenobu Kiuchi, Haruka Tomatsu
SCENARIO : Reiko Yoshida
DIRECTION ARTISTIQUE : Mikiko Watanabe
MONTAGE : Kengo Shigemura
BANDE ORIGINALE : Evan Call
ORIGINE : Japon
GENRE : Anime, Drame, Mélodrame
DATE DE SORTIE : 19 mai 2021
DUREE : 2h20
BANDE-ANNONCE

Synopsis : Violet Evergarden est toujours incapable d’oublier Gilbert, son ancien supérieur hiérarchique. Un jour, alors qu’elle reçoit une demande d’un jeune client, CH Postal découvre une lettre sans adresse dans leur entrepôt.

D’abord espéré dans les salles françaises à l’automne dernier, Violet Evergarden – Le Film débarque finalement dans les cinémas grâce à Eurozoom. Quelques années après A Silent Voice ou Liz et l’Oiseau Bleu, voilà une nouvelle chance de découvrir sur grand écran la splendeur du travail de Kyoto Animation, en plus d’assister à la conclusion de l’histoire de l’emblématique écrivaine publique.

Attention, cet article révèle des éléments-clés de l’intrigue !

Violet Evergarden – Le Film est d’abord l’histoire d’une méprise. La série d’origine se terminait en effet sur la visite du personnage-titre à l’un de ses clients, dont l’identité ne nous sera jamais révélée. La réaction d’étonnement de Violet à l’apparition de cet être invisible aura ainsi nourri de nombreuses discussions parmi les fans : l’individu qui apparaissait devant elle était-il Gilbert, le major dont la mort n’a jamais été acceptée par Violet ? Était-il finalement encore en vie ?
L’intention de Taichi Ishidate, réalisateur de la série, de cet épisode en particulier et également du film qui nous intéresse aujourd’hui, était pourtant tout autre. Par l’intermédiaire du sourire de Violet – une première dans la série ! – Ishidate nous mettait face à une jeune femme ayant achevé son éveil aux sentiments. Ce sourire n’est donc pas adressé à un personnage, mais au spectateur lui-même : c’est lui, l’occupant de cette maison faisant office de destination finale au parcours intérieur de Violet. Un échange de regards symbolique et émouvant qui nous laissait contempler l’humanité, enfin retrouvée, du personnage qui s’est construit devant nous pendant treize épisodes. Logiquement, aucun des deux longs-métrages qui suivra ne refera donc mention de cette courte scène.

La question de la survie du major, aussi essentielle soit-elle dans le cadre de l’intrigue, n’est donc pas ce qui intéresse Kyoto Animation dans l’absolu. La révélation de son existence se fera donc le plus naturellement du monde, sans tambour ni trompette (et sans violon du coup, hin hin), par le biais d’une courte séquence intégrée au récit. Car oui, Gilbert est toujours là, comme une évidence que l’on espérait et redoutait à la fois, partagés que nous étions entre l’envie que Violet retrouve son Amour et l’improbable revirement narratif que cela pouvait représenter.
Très vite, les indices des retrouvailles à venir son parsemés ici et là par la mise en scène. Dès son apparition, Violet est esseulée par des compositions mettant à profit l’espace négatif des cadres. Plus que sa présence, c’est l’absence d’un être qui nous est présentée. Changement majeur dans la caractérisation du personnage, c’est l’eau qui est maintenant associée à la poupée, quand la série la mettait – littéralement – en lumière par des éclairages flamboyants exprimant une âme « en feu ». Le film jouera donc de ces motifs, notamment au moment de la rencontre tant attendue dans l’océan, après un premier échec noyé par la pluie. On retrouve dans ces moments la capacité de KyoAni à incarner les tourments de ses personnages dans de superbes environnements, peut-être moins flamboyants toutefois qu’à l’accoutumée.

Il faut dire que Violet Evergarden – Le Film est un beau bébé de 2h20, et que ce changement de format nécessite une approche moins excessivement « hollywoodienne ». L’anime prend son temps, parfois trop, en fait son cœur thématique dès le premier plan rythmé par le son d’un pendule, joue même la filiation directe avec l’épisode 10 dans lequel une jeune fille reçoit des lettres de sa mère décédée pendant cinquante ans. Le long-métrage s’étale ainsi sur trois périodes temporelles distinctes, flash-backs et récit-cadre situé dans le futur soutenant le déroulement de l’intrigue principale. L’évocation du temps est partout à l’image : la fatalité d’un temps manquant pour exprimer ses sentiments à un proche, les souvenirs d’une période de guerre ou ceux, éphémères, d’un amour passé (Gilbert pense à Violet(tes) en regardant des pensées), l’évolution rapide et mélancolique d’un monde où s’immiscent les nouvelles technologies, son immortalisation dans un musée (l’une des hétérotopies chères à Michel Foucault), sa matérialisation dans un corps rongé par la maladie, son ressenti dans le quotidien d’une ville ou d’un bureau de poste…

Entièrement portée par une sensibilité contenue, la direction artistique n’a pas, dans ces instants-là, la grâce ostentatoire de la série. Reste que ce rapport sensible au temps porte entièrement l’anime, qui y trouve la tonalité nécessaire pour sublimer la banalité fondamentale du propos. Et parce que l’identité visuelle du long-métrage est signée Mikiko Watanabe, décédée en pleine production dans l’incendie criminel qui a ravagé le studio en 2019, l’œuvre se pare d’une tonalité supplémentaire impossible à évacuer.

Car la mort règne sur le film à tous les niveaux et lui permet de se transcender malgré lui, de capter une nuance émotionnelle supplémentaire dans son rapport à l’espace. Comme une voix d’outre-tombe, et inversement une déclaration d’amour aux défunts, qui prolonge directement ce motif de la « voix » si joliment mise en exergue : la frustration d’Iris ressentie au téléphone, un « merci » en guise de dernier mot (d’un personnage, et du film !), l’utilisation du téléphone bien entendu, ou ce climax cathartique dans lequel les voix s’émancipent de l’espace pour atteindre l’être aimé, dans un pur et déchirant élan mélodramatique. C’est bien là le cœur du film : qu’importent les technologies, l’expression des sentiments n’est pas aussi simple qu’elle n’en a l’air. Même experte en la matière, Violet ne parviendra pas à déclarer oralement son amour au major ! Violet Evergarden – Le Film se blinde donc de protagonistes ne pouvant exprimer leurs émotions. L’arc de Daisy, que l’on peut imaginer rajouté après le drame ayant touché KyoAni, a ceci de déchirant qu’il est un écho direct à la disparition brutale des 36 employés du studio. Les mots introduisant et clôturant le film leurs sont clairement dédiés.

Dans son déroulement, l’anime prolonge cette sensibilité d’un mélodrame « à la japonaise » amorcée (involontairement ?) dans Eternité et la Poupée de Souvenirs Automatique. Toutefois, cette importance du temps qui passe, la mention de la pression sociale, ce rapport à l’instant présent, à l’éphémère qui parcourt le film, a une contrepartie. Si le rythme est impeccable, l’anime arbore parfois un aspect best-of qui s’adresse moins au connaisseur de l’univers qu’au profane désireux de ne pas être totalement perdu. Sans même parler de dialogues superfétatoires qui bégaient ce que l’on ressent à l’image et qui paraphrasent plusieurs fois les thèmes déjà traités dans la série, le film laisse parfois une impression de déjà-vu qui retient une partie de l’émotion. Il en va ainsi du passé du major, devenu comme tel parce que son père le voulait (telle Isabella dans le précédent film), des derniers moments d’un personnage mourant (par conséquent moins impactant que le déchirant épisode 11) ou des nombreuses allusions aux actes passés de Violet ou des personnages secondaires. Ironiquement, Violet Evergarden – Le Film a donc tout le temps pour s’exprimer mais n’est jamais aussi émouvant qu’il le pourrait, faute d’avoir vu se resserrer sur l’essentiel à l’image des lettres pragmatiques de Violet.

En conséquence de quoi, la dimension quasi mythologique prise par Violet dès le début du film (le vent emportant la coupure de presse où elle figure), et rappelée occasionnellement par les personnages avant la très belle conclusion prenant des allures d’immortalisation (le timbre !), n’est pas ressentie comme annoncée. On se consolera en se remémorant la série, impeccable sur ce point, tout en regrettant que le film n’aille pas au bout de ses promesses.

Des raisons suffisantes pour bouder cette conclusion ? Certainement pas. Violet Evergarden – Le Film est fait de cette universalité, de cette sincérité qui touche en plein cœur au-delà des réserves qu’il peut nous évoquer. Il se fera même, sans nul doute, l’égal des lettres de Violet dans le témoignage qu’il incarne : celui d’une époque, de sentiments et de l’existence d’âmes parties forcément trop tôt. Le long-métrage se fait ainsi porteur de ces voix d’outre-tombe, celles des 36 disparus de KyoAni qui nous parviennent et nous portent tel l’ending de la série retentissant au loin dans les dernières minutes du film. Une voix artistique éternelle, comme seul rempart aux limites de l’espace et au passage du temps.

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