Velvet Goldmine

REALISATION : Todd Haynes
PRODUCTION : Goldwyn Films, Miramax Films, Single Cell Pictures
AVEC : Christian Bale, Jonathan Rhys-Meyers, Ewan McGregor, Toni Collette, Eddie Izzard
SCENARIO : Todd Haynes, James Lyons
PHOTOGRAPHIE : Maryse Alberti
MONTAGE : John Lyons
BANDE ORIGINALE : Carter Burwell
ORIGINE : Royaume-Uni
GENRE : Drame, Musical
DATE DE SORTIE : 9 décembre 1998
DUREE : 2h03
BANDE-ANNONCE

Synopsis : Arthur Stuart, jeune journaliste anglais exilé à New York, est chargé d’écrire un article sur Brian Slade, ancienne rock star britannique des années 1970 ayant orchestré l’assassinat de son propre personnage sur scène. Il va alors retracer la vie de cette énigmatique vedette du glam rock, de ses débuts sur scène à sa soudaine descente aux enfers, à travers les témoignages de son ex-femme Mandy et de son ancien amant Curt Wild, autre grande star de l’époque. Cette quête de la vérité est aussi l’occasion pour le journaliste de se replonger dans son passé…

Lorsqu’il s’agit pour le cinéphile de citer les films flattant la nostalgie pour une époque révolue, on se rend vite compte à quel point l’Histoire du cinéma est une source qui ne s’est jamais tarie. Revenir en arrière, revisiter le monde (réel ou imaginaire), se confronter à ses chimères comme à ses propres fantômes : pas la peine de refaire un dessin. Troisième long-métrage d’un Todd Haynes à qui l’on devait déjà l’intéressant Safe en 1996, Velvet Goldmine respecte les trois conditions d’entrée des films de cette catégorie. D’abord un contexte : le Royaume-Uni au début des années 70 et l’âge d’or du glam rock, à la fois nouvelle musicalité et véritable mouvance sociale, reflet de l’évolution des mœurs sur la mode, la scène ou la sexualité. Ensuite un fil directeur, lequel élabore d’emblée une généalogie d’autant plus curieuse qu’elle reste imaginaire : une sorte de breloque verte qui, en circulant à travers les époques entre les mains de plusieurs personnages, semble mettre en marche la filiation d’un style excentrique d’une génération à l’autre. Enfin un vrai parti pris narratif : éviter à tout prix de dérouler la chronologie du glam rock, mais ouvrir au contraire la voie à une quête intérieure et romantique, celle d’un cinéaste pris d’une fascination totale pour une époque aussi décadente et pour ceux qui en furent les figures de proue. De plus, en donnant à ces derniers une identité fictionnelle mais basée sur de véritables icônes, Todd Haynes joue à plein régime la carte de la réminiscence et tend ainsi à délester son récit de tout ce qui pourrait le souder aux codes du biopic. Pour autant, on ne peut pas dire qu’une telle démarche, aussi judicieuse soit-elle, ait abouti à un film maîtrisé de fond en comble. Et c’est là que le résultat, fragile et irritant à la fois, révèle malgré lui sa vraie nature.

En lisant le synopsis, faut-il s’étonner de penser à Citizen Kane, voire même s’inquiéter d’oser un parallèle aussi casse-gueule ? Pas tant que ça, puisque les deux films suggèrent finalement la même chose : peu importe la vérité sur celui qui reste l’objet de notre désir ou de notre curiosité, elle nous file toujours entre les mains lorsqu’il est question d’en reconstituer la personnalité. Ici, c’est celle de Brian Slade (Jonathan Rhys-Meyers), ancienne idole du glam rock, qui sera l’épicentre du récit : une star qui se sera volatilisée d’un coup sec après avoir mis en scène son propre assassinat (bidon) lors d’un ultime concert, et qu’Arthur (Christian Bale), jeune journaliste anglais, tente de cerner en vue d’un article. C’est donc à lui d’aller recueillir les témoignages de ceux qui ont côtoyé Brian : son manager exigeant (Eddie Izzard), son ancienne épouse Mandy (Toni Collette) et son ancien amant Curt Wild (Ewan McGregor). Et ce sont ces témoignages qui, peu à peu, font replonger Arthur, double évident du cinéaste, dans les émotions les plus troublantes de son adolescence.

C’est la première idée du film : faire de chaque témoignage un flashback qui agit sur Arthur comme une madeleine de Proust, le plongeant (et nous avec) dans un éventail de scènes tour à tour fantasmées ou véridiques, les unes se mêlant très vite aux autres au gré du découpage. Des réminiscences dont les personnages de Brian et de Curt se font les incarnations parfaites : dès sa première apparition, le premier évoque l’excentrisme de David Bowie (sans parler du look spatio-kitsch de son personnage de scène à la Ziggy Stardust), et plus tard dans le récit, l’hystérie rageuse du second, présenté comme un rockeur drogué et destroy, élabore un drôle de croisement entre Kurt Cobain et Iggy Pop. Même les chansons et les musiques ne sont pas sans évoquer des réorchestrations de morceaux existants. Le film tout entier est à l’image de ce qui semble habiter l’esprit d’Arthur, fan extrême avant d’être journaliste : une duplication sensitive d’une époque révolue autant qu’une pure chanson de gestes et d’attitudes, chacun(e) étant décliné(e) « à la manière de ». En soi, c’est une force, tant le film arrive à faire revivre un espace-temps aussi fou et décadent, mais c’est aussi une faiblesse, pour ne pas dire un excès de zèle, tant le cinéaste se laisse parfois dévorer par sa fascination, finalement réduite à du vent lorsque le scénario évolue vers des terrains moins joyeux.

Car, oui, après l’ivresse vient forcément la gueule de bois. Et ainsi, Todd Haynes ne tarde pas à révéler la face cachée de ce culte viscéral, voué à des icônes qui, en fin de compte, n’auront été rien d’autre que des apparences, des images fantasmées et quelque part mensongères (« On voulait changer le monde, mais c’est nous qui avons changé »). Cela se justifie bien lorsque les figures décadentes d’antan révèlent leur nature éteinte et démaquillée (voir la mine fatiguée de Toni Collette dans un bar), décuplant ainsi la nostalgie et donnant à ces « survivants » l’allure de zombies qui erreraient sur un champ de ruines. En revanche, on peine à adhérer à ce genre de basculement lorsque toute la narration continue de rester basée sur un argument fictionnel, à savoir cette petite breloque dont l’ouverture du film révèle qu’elle aurait appartenu à Oscar Wilde. Nul doute que le parallèle avec un élément historique établi aurait eu davantage d’impact, même si l’on voit malgré tout où voulait en venir le cinéaste : pour lui, le glam rock n’est pas une mouvance parmi tant d’autres, mais surtout un état d’esprit qui, de par son déchaînement de paillettes (« glitter ») et de mensonges stylisés, ne vise qu’à dissimuler le vide au profit d’une poésie factice, à laquelle peuvent adhérer collectivement les idoles et leur public. Mais là encore, difficile de suivre Todd Haynes dans sa fascination pour le glam, surtout quand celle-ci ne découle que d’un vertige fantasmatique, aussitôt arrivé aussitôt évaporé.

Le comparatif avec un autre film nostalgique sur le rock s’impose alors : quelques années plus tard, Cameron Crowe réalisait Presque célèbre, œuvre quasi autobiographique qui prenait le temps d’investir un contexte bien ciblé de la mouvance rock sous l’angle de l’investigation et de la fièvre groupie. Au-delà d’un scénario parfaitement charpenté, le film de Crowe débordait d’émotion et de justesse, et réussissait à créer une vraie nostalgie, sincère parce que rattachée à quelque chose d’authentique, fiévreuse parce qu’axée sur le subjectif naïf d’un jeune garçon fasciné par ce « monde inconnu ». Haynes, lui, fait hélas l’inverse : non seulement son scénario rompt brutalement avec la fièvre nostalgique qu’il voudrait susciter, mais celle-ci se révèle à peu près aussi factice, la faute à un montage bordélique qui abuse du glam et du clinquant sans en tirer une vraie musicalité dans le montage, une vraie fluidité dans l’enchaînement des scènes, une vraie logique dans la gestion de l’émotion. Et le résultat, alors, s’incarne moins en fenêtre sur le passé qu’en vitrine surchargée de fantasmes vains.

Dans son ensemble, Velvet Goldmine se fragilise de plus en plus parce qu’il reste trop gourmand, saccadant parfois son montage de cassures narratives assez décoratives (dont une chanson entière de Brian Slade déclinée sous la forme d’un clip dandy) ou de ruptures oniriques à la Gregg Araki (de la pluie de paillettes sur les corps des amants à l’apparition d’une soucoupe volante façon Mysterious skin). A l’inverse, il offre parfois des idées intéressantes, comme cette relecture du coup de foudre entre Curt et Brian au travers d’un tandem de poupées Barbie « glamisées » avec lesquelles joue une petite fille invisible à l’écran. Todd Haynes semble s’amuser avec son sujet tout comme il cherche coûte que coûte à renouer avec son vertige, quitte à tout miser sur ce qui peut surgir dans son cadre, images et sons compris. Mais tout ceci rencontre parfois un vrai blocage, parce que trop axé sur une boulimie sans affect. De quoi justifier l’avertissement lancé en ouverture du film : « Même si ce qui suit est une fiction, il faut monter le volume ».

Test Blu-Ray

C’est à l’éditeur Carlotta que revient l’honneur de ressortir le film culte de Todd Haynes sous support numérique. Le Blu-Ray que nous avons pu tester donne une totale satisfaction sur le terrain de l’image et du son : le master HD présente un très beau piqué et déploie une gestion harmonieuse des contrastes (il suffit de voir les titres du générique de début pour en prendre le pouls). Même satisfaction du côté de l’encodage sonore, dont la spatialisation se révèle cependant plus redoutable en version originale (celle-ci étant la seule à bénéficier du DTS 5.1). C’est du côté des bonus que la déception s’installe : en lieu et place d’un vrai making-of ou d’un éventuel commentaire audio de Todd Haynes, on ne trouvera qu’une featurette assez sommaire où le réalisateur et les acteurs commentent autant l’époque du glam rock que le tournage du film. Les informations intéressantes ne manquent pas, mais elles sont trop condensées dans un esprit promo. En soi, cela reste un petit regret.

Photos : © VELVET GOLDMINE PRODUCTIONS Ltd. Tous droits réservés

Laisser un commentaire

Lire les articles précédents :
Godzilla

Courte-Focale.fr : Critique de Godzilla, de Gareth Edwards (Etats-Unis - 2014)

Fermer