Skyfall

REALISATION : Sam Mendes
PRODUCTION : Metro Goldwyn Mayer, Columbia Pictures, Danjaq productions
AVEC : Daniel Craig, Judi Dench, Javier Bardem, Ralph Fiennes, Ben Whishaw
SCENARIO : Neal Purvis, Robert Wade, John Logan
PHOTOGRAPHIE : Roger Deakins
MONTAGE : Stuart Baird
BANDE ORIGINALE : Thomas Newman
ORIGINE : Etats-Unis, Royaume-uni
GENRE : Action, Espionnage, Thriller
DATE DE SORTIE : 26 octobre 2012
DUREE : 2h23
BANDE-ANNONCE

Synopsis : Lorsque la dernière mission de Bond tourne mal, plusieurs agents infiltrés se retrouvent exposés dans le monde entier. Le MI6 est attaqué, et M est obligée de relocaliser l’Agence. Ces événements ébranlent son autorité, et elle est remise en cause par Mallory, le nouveau président de l’ISC, le comité chargé du renseignement et de la sécurité. Le MI6 est à présent sous le coup d’une double menace, intérieure et extérieure. Il ne reste à M qu’un seul allié de confiance vers qui se tourner : Bond. Plus que jamais, 007 va devoir agir dans l’ombre. Avec l’aide d’Eve, un agent de terrain, il se lance sur la piste du mystérieux Silva, dont il doit identifier coûte que coûte l’objectif secret et mortel…

Comme il se doit depuis déjà un demi-siècle, le nouveau cru bondien s’ouvre sur un générique donnant matière à une illustration abstraite et métaphorique de l’aventure à venir. Généralement, c’est un bon indicateur des saveurs que celle-ci délivrera. Lorsque défile le générique de Skyfall, on sent que l’ambiance ne sera pas à la gaudriole. Déjà, la classieuse chanson d’Adele contient son lot de paroles peu réconfortantes (« this is the end», « let the skyfall when it crumbles »). Le visuel convoque lui une imagerie horrifique à base de tombes et de crânes, un sentiment de perte de repères avec un Bond face à des miroirs et des ombres multiples insensibles à ses coups de feu et une ambiance apocalyptique faite de pluies de sang. Que des choses passionnantes en somme, face à un concept de mort et de renaissance passant par un Bond en quête de lui-même. Mais ce générique laisse également un goût amer. On pouvait s’enthousiasmer du retour de Daniel Kleimann pour sa conception après le triste générique de Quantum Of Solace. Pour autant, le résultat n’est qu’un assemblage de concepts terriblement artificiels, à la patine aseptisée et surtout sans grande classe. Et c’est bien là le problème d’un épisode quasi-unanimement acclamé comme le plus grand de tous les Bond. Skyfall offre très clairement des choses intéressantes mais dans un emballage aucunement excitant pour les sens et l’esprit. En ce sens, on n’est pas si loin du pourtant si conspué Quantum Of Solace.

Avec l’arrivé de Daniel Craig dans le rôle principal, la franchise a muté du film d’action-espionnage à quelque chose se voulant plus introspectif. Techniquement, il ne s’agissait rien de plus pour la franchise que de survivre en flairant l’air du temps. Qu’elle s’inspire de la blaxploitation (Vivre Et Laisser Mourir), de la science-fiction (Moonraker) ou de l’actionner testostéroné (Permis De Tuer), la série surfe avec plus ou moins de joie sur ce qui marche. Dans le documentaire rétrospectif Everything Or Nothing récemment produit, Barbara Broccoli admet que les attentats du 11 septembre ont motivé ce remaniement de la franchise pour s’éloigner d’un ton désinvolte poussé à bout sur le fabuleusement gogoloïde Meurs Un Autre Jour. Le succès répondra présent à ceux qui auront rapidement satisfait cette nouvelle demande où le surhomme rassurant doit céder sa place à l’homme vulnérable et ordinaire faisant face à l’impossible. Et après tout, pourquoi ne pas appliquer le procédé à Bond ? Il n’y a jamais de mauvaise idée lorsqu’on a l’art et la manière de la faire passer. Or, la série traînera grandement la patte dessus, pour ne pas dire qu’elle s’y cassera les dents. Difficile de revoir une formule qui aura fait ses preuves pendant plusieurs décennies. L’ère Pierce Brosnan fut déjà en elle-même une lourde période de consensus flirtant avec la schizophrénie. A la volonté de proposer un personnage principal dévoilant toute sa classe et sa dureté originelle s’opposait un abattage gargantuesque de scènes d’action calquées sur les productions Jerry Bruckheimer. L’ère Daniel Craig est finalement du même acabit par la quête non résolue d’un équilibre entre spectacle et étude de caractère. Casino Royale et Quantum Of Solace ont eu ce problème, Skyfall l’a également. Du coup, difficile de comprendre en quoi cet épisode se montrerait supérieur à ses prédécesseurs. La présence de Sam Mendes à la réalisation serait-elle définitivement un subterfuge si efficace ?

Il est courant d’admettre qu’au sein d’une entreprise collégiale tel que Bond, l’apport artistique du réalisateur est fort minime. A la manière de Marc Forster sur le précédent volet, la présence du cinéaste des Sentiers De La Perdition ressemble à un artifice pour se la jouer « auteur ». Et ça se confirme assez vite face à un œuvre qui ne suinte d’aucune réappropriation particulière. La mise en scène conserve une allure efficace mais passe-partout et inodore, ce qui ne serait pas gênant en soit si le film misait tout sur le divertissement. En l’occurrence, le film joue sur deux tableaux et n’en remplit aucun. Etant donné les nombreuses critiques que ce sont prises les scènes d’action à la shakycam de Quantum Of Solace, la production s’est judicieusement séparée du réalisateur de seconde équipe Dan Bradley (La Mort Dans La Peau) pour renouer avec Alexander Witt qui avait officié sur Casino Royale. Pour autant, les absences de tremblements de la caméra n’enlèvent rien à la lisibilité discutable des scènes d’action. La faute a un découpage approximatif dans la gestion de la topographie des environnements. Mais bien sûr, le scandale tient moins à d’impuissantes montées d’adrénaline qu’à une prétention si péniblement accomplie.

Dans le premier acte, une scène suffit à démontrer que les géniteurs de la franchise n’ont pas eu le courage de revoir leur copie de fond en comble. Déclaré mort à l’issue de la séquence pré-générique, Bond tue le temps dans un quelconque paradis tropical en compagnie de prostituées et d’Heineken. Apprenant qu’un attentat a été perpétré contre le MI6, l’espion se met tout de suite au garde à vous et se présente manu militari à M. Lorsqu’on retrouve Bond à Londres, la présentation est assez inquiétante. Il a pénétré dans le domicile de M et l’attend tapi dans l’ombre. Si on ignorait ce que Bond avait fait depuis la fin de la séquence pré-générique, on s’interrogerait très clairement à son propos. Pourquoi est-il vraiment revenu après tout ce temps ? Est-ce qu’il a un lien avec les attentats ? Est-il possible qu’il joue un double jeu suite à la trahison de M ? Cette réapparition est pour le moins ambiguë. Or, en nous montrant les occupations pépères de Bond avant qu’il ne revienne instinctivement au pays lorsque celui-ci est menacé, il n’y a rien de plus que la figure traditionnelle du professionnel. Toute autre signification aurait probablement été trop troublante, trop osée vis-à-vis d’une figure archi-protégée. Insinuer qu’il a potentiellement pété les plombs et jouer là dessus durant tout le film aurait pourtant été une manière d’assurer suspense et exploration de l’essence du personnage. La manière dont le rapport avec le bad guy est tout juste esquissée montre à nouveau la prise de risque plus que mesurée de l’entreprise.

Si la production s’est tournée vers des réalisateurs avec une aura de reconnaissance artistique sur les deux derniers volets, il en va de même pour les scénaristes. Neal Purvis et Robert Wade conservent un poste qu’ils détiennent depuis maintenant plus d’une décennie mais on leur adjoint le service d’un troisième larron prestigieux. Après Paul Haggis pour Casino Royale et Quantum Of Solace, c’est John Logan qui officie sur Skyfall. Pas forcément un mauvais choix puisque de Star Trek : Nemesis à Rango, Logan sait comment questionner les fondements de ses personnages au sein d’une entreprise divertissante. En l’occurrence, le rapport entre Bond et Silva porte clairement sa marque. Introduit tardivement dans le long-métrage (une tradition bondienne), l’apparition de Silva laisse croire que le film prendra là son envol. Présenté de manière théâtrale par le biais d’une anecdote captivante, Silva met Bond face à ses propres choix. Il fut un temps où Silva occupait la même place que Bond avant de décider de s’en écarter. De par la similarité de leurs parcours, Silva est tout à fait apte à séduire (littéralement) Bond et à faire vaciller ce qu’il croit acquit. L’antagonisme passionnant ne dépassera malheureusement pas cette première scène. Là encore, on sent un terrain trop glissant et dérangeant pour qu’il soit tenu de bout en bout. C’est là tout le drame d’une entreprise n’assumant aucun de ses choix. Tout comme l’affrontement psychologique est inabouti, le caractère ludique du bad guy est exploité timidement malgré la prestation jubilatoire d’un Javier Bardem s’éclatant comme un gosse. Les compromis abondent tellement sans se justifier que le film semble finalement se construire sur des fondations risibles (un plan machiavélique de ouf rendu complètement inutile par sa finalité) et des équations stupides (découverte de la jeunesse de Bond = retour aux sources = méthodes de batailles old school).

Bref, malgré des tentatives d’effort, il n’y a rien qui permet à Skyfall de devenir un grand cru… à une exception près. En s’attachant au projet, Mendes aura amené deux de ses plus fidèles collaborateurs : le compositeur Thomas Newman et le directeur de la photographie Roger Deakins. Si le premier signe une insipide BO à la remote control, le second se pose en sauveur du film. La mise en scène transparente est absolument transcendée par les talents du chef op des frères Coen. Jeux d’ombres, de contrastes et de couleurs se multiplient pour créer de véritables orgasmes visuels. Des néons de Shanghai à un climax écossais uniquement illuminé par un gigantesque incendie, le bonhomme offre tout son génie à l’entreprise. Dommage que personne d’autres ne semble aussi galvanisé que lui. Le spectateur sentira peut-être un début de frémissement devant une scène finale en forme de clin d’œil forcené qui lui fera croire que la prochaine sera la bonne.

1 Comment

  • nasheuh Says

    La meilleure critique que j’ai lue sur ce film ! J’ai vraiment du mal à comprendre son succès et les arguments de ceux qui crient au chef d’oeuvre Bondesque. Le scénar est une parodie de la franchise entre les JB girls qui n’ont jamais été aussi inutiles et Q qui confesse que, non, on n’aura pas le droit de s’amuser en se moquant des stylos explosifs et en donnant un truc pas bien passionnant dont on en voit venir la scène à 10km… Les touches de sombritude à la Dark Night m’ont ennuyé à mourir et j’ai aussi été plus que saoulé par le côté bien conservateur sur les ordinateurs et la technologie qu’on trouvait déjà dans Die Hard 4 (si, si il y a eu un 4 je vous assure). Je ne parle même du méchant… (prétérition, j’écris ton nom :/) Même si j’ai apprécié la performance de Bardem, le coup du méchant avec son super plan qui prévoit tout au millimètre et à la seconde près était lui aussi lassant. La pauvreté du scénar se retrouve aussi dans dans son background à la Goldeneye, vous auriez quand même pu trouver un truc à copier un peu moins gros, non ?Pour moi, les James Bond avec Craig se suivent et commencent à trop se ressembler au niveau de la qualité. Ça ne donne pas envie de se faire avoir une 4e fois…

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