Shield of straw

REALISATION : Takashi Miike
PRODUCTION : Nippon Television, OLM
AVEC : Tatsuya Fujiwara, Nanako Matsushima, Takao Osawa, Tsutomu Yamazaki, Masatô Ibu
SCENARIO : Tamio Hayashi
PHOTOGRAPHIE : Nobuyasu Kita
MONTAGE : Kenji Yamashita
BANDE ORIGINALE : Kôji Endô
ORIGINE : Japon
GENRE : Action, Thriller
DATE DE SORTIE : inconnue
DUREE : 2h05
BANDE-ANNONCE

Synopsis : Ninagawa est un puissant homme politique japonais. Sa petite-fille est assassinée et le suspect se nomme Kunihide Kiyomaru, un jeune homme qui a déjà tué par le passé. Trois mois plus tard, Ninagawa décide de poster des annonces dans trois grands journaux et sur le Web, explicitant qu’il offre un milliard de yens à celui ou celle qui éliminerait Kiyomaru. Craignant pour sa vie, Kunihide se rend à la police. Mais la récompense proposée par Ninagawa attire les foules, ce qui ne va pas faciliter le transfert du prisonnier…

Il est de plus en plus difficile aujourd’hui de savoir ce qui fait courir Takashi Miike, et surtout de comprendre ce qui le pousse à tourner aussi vite. Même si ses derniers films ont su prouver chez lui une vraie maturité dans la mise en scène (largement plus soignée) et l’exploration de certains sujets (moins de provocation et plus de profondeur), le bonhomme n’a en revanche toujours pas freiné sa démarche stakhanoviste (une soixantaine de films à 53 ans !) et continue d’enchaîner les projets les plus improbables. En ce qui nous concerne, c’est justement le fait d’employer l’adjectif « improbable » à propos de ses films qui mérite réflexion, comme si le fait de ruer dans les brancards du portnawak hardcore était chez Miike une logique (depuis la sortie d’Audition, on avouera que c’est un peu devenu son style) et s’aventurer de temps à autre du côté d’un divertissement plus policé devait sonner comme une anomalie. Si l’on en juge par l’indifférence relative qui aura accompagné son récent décalque du Harakiri de Masaki Kobayashi (dans lequel il faisait preuve d’une grande sobriété plastique), Miike serait-il donc condamné à rester ce cinéaste fou furieux et opportuniste, voire à conserver son statut de Tarantino nippon du pauvre ? On se bornera à dire que non, si tant est que sa rage de filmer puisse véritablement s’incarner dans le fond comme dans la forme. Bonne nouvelle : avec Shield of straw, Miike enfonce le clou sur ce point avec une énergie interne inouïe, et ce au travers d’un cadre d’actionner survolté et mené à cent à l’heure.

Avec le recul, il est tellement facile de juger en quoi Shield of straw ne récolta qu’indifférence et huées massives lors de sa présentation en compétition du dernier festival de Cannes (ce fut le deuxième passage de Miike sur la Croisette). Un best-of des réactions de la presse ? En gros, pêle-mêle, une réflexion inexistante sur un sujet brûlant, une copie grossière d’un film d’action hollywoodien, un final douteux et réactionnaire sur la peine de mort, et surtout, la question qui tue : que foutait donc ce film en compétition ? Loin de nous l’idée de vouloir théoriser le sens de cette phrase aberrante qui se fait entendre chaque année sur la Croisette, mais au vu de ce qu’est le film (un thriller d’action, donc), on peut constater que le pur divertissement de genre n’a pas fini d’être traité en pestiféré au sein d’une compétition jugée « prestigieuse ». Pour autant, le film de Miike ne se limite certainement pas à un pur spectacle, et le malaise qu’il parvient à susciter tout au long de son intrigue-revolver suffit en soi à prouver que son barillet cache de précieuses munitions, prêtes à faire des dégâts au moment le plus inopportun.

L’idée de départ est très simple : un milliardaire mourant offre un milliard de yens à celui qui éliminera le meurtrier-violeur de sa petite-fille de 7 ans. Mais l’annonce a été faite sur un site Web impossible à fermer, et le meurtrier, identifié dès le départ comme étant le jeune récidiviste Kunihide Kiyomaru, se rend lui-même à la police pour y chercher protection. Car le plus dur reste à faire pour les forces de police : assurer le transfert du tueur jusqu’à Tokyo où il doit être jugé, en le protégeant des 125 millions de Japonais que l’appât du gain et de la vengeance pourrait rendre incontrôlables. A la fois vecteur de suspense moral et véhicule d’une vraie réflexion sociétale, le scénario élabore ainsi une moelle épinière narrative pour le moins retorse : trois flics au tempérament opposé face à une société autant animée par la vengeance que par l’argent. Et au fil de cet enchaînement de péripéties musclées se dessine alors tout un champ lexical de la notion de « fracture sociale », au travers d’un questionnement complexe sur la notion de justice (celle de l’Etat ou celle de l’individu ?), sur le statut du policier-samouraï (tiraillé entre son sens de l’honneur et ses pulsions corruptives) et, in fine, sur la peine capitale (un sujet toujours très épineux au Japon).

Fort heureusement, Takashi Miike ne joue pas dans la même cour que Joel Schumacher, et son western urbain ne livre aucun point de vue arrêté sur la question. Il se contente, et c’est tout à son honneur, de pousser une situation intense jusque dans ses ultimes retranchements, de la tension qui anime peu à peu les policiers (parmi lesquels on retrouve la belle Nanako Matsushima, alias l’héroïne de Ring !) jusqu’aux provocations répétées du tueur (judicieux choix du jeune Tatsuya Fujiwara pour intensifier le contraste entre angélisme apparent et perversité souterraine). Et si son film échappe sans souci au didactisme gonflant, c’est en choisissant d’inscrire sa réflexion sur la marchandisation du monde au sein même du processus d’action, sous forme de petites fulgurances qui stimulent en permanence notre adrénaline. En cela, Miike rend son propos d’autant plus perturbant et, au fil d’un récit riche en surprises (pièges, trahisons, coups fourrés, personnes à désarmer et engueulades difficiles s’enchaînent à la vitesse du Shinkansen) donne vie à suffisamment de pulsations diverses pour tenir en haleine jusqu’au dénouement final. Le tout avec une mise en scène d’une remarquable maîtrise qui, sans atteindre la perfection esthétique d’un Johnnie To ou la stylisation percutante des thrillers sud-coréens, confirme bel et bien l’étonnante mue d’un cinéaste schtarbé en auteur confirmé.

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