Lucy

REALISATION : Luc Besson
PRODUCTION : EuropaCorp, TF1 Films Production
AVEC : Scarlett Johansson, Morgan Freeman, Choi Min-sik, Amr Waked, Analeigh Tipton, Pilou Absaek, Julian Rhind-Tutt, Claire Tran, Frédéric Chau
SCENARIO : Luc Besson
PHOTOGRAPHIE : Thierry Arbogast
MONTAGE : Julien Rey
BANDE ORIGINALE : Eric Serra
ORIGINE : France
GENRE : Action, Science-fiction
DATE DE SORTIE : 6 août 2014
DUREE : 1h29
BANDE-ANNONCE

Synopsis : Lucy est une jeune femme vivant à Taipei, dans un monde où l’homme n’utilise que 10% des capacités de son cerveau. Prise dans un guet-apens par la mafia taïwanaise, elle est contrainte de faire la « mule » pour des trafiquants de drogue, mais à la suite d’un accident, elle absorbe une partie de la substance expérimentale qu’elle transporte. Cela décuple ses facultés physiques et psychiques…

Lucy. Un seul prénom, mille connexions possibles. D’abord la plus évidente, assumée au détour d’un dialogue en début de métrage : la première femme de l’histoire de l’humanité, ce qui semble plutôt gonflé pour un clin d’œil. Ensuite celle qui s’impose dès l’entrée en matière de l’intrigue : une jeune étudiante sexy qui, par un tragique concours de circonstances, devient le cobaye involontaire d’un surprenant processus d’évolution. D’abord réduite au statut de colissimo en débardeur (elle doit transporter une drogue expérimentale cachée dans son abdomen), la belle se mue vite en super-héroïne invincible (ses capacités cérébrales ne cessent d’augmenter) pour finir par s’incarner en clé USB version 4G, réceptacle d’un éventail quasi infini de savoirs et de sensations. Drôle d’idée de scénario, à peine originale dans la mesure où le récent Limitless en avait exploré (très mal) le concept, mais qui, entre les mains de Luc Besson, acquiert le plus surprenant des reliefs. Savoir que Lucy était un projet vieux de dix ans pour le cinéaste ne trompe pas sur l’ambition affichée à l’écran : un sujet très axé sur la science (le cerveau et ses limites) sur lequel la documentation était de rigueur autant que la passion (Besson est l’un des membres fondateurs de l’ICM), une intrigue centrée autour d’une utopie scientifique (l’être humain n’utiliserait que 10% de ses capacités cérébrales : d’après les rumeurs, ce serait faux, mais qu’importe…) et la promesse d’un divertissement fun où la manière forte ne viendrait jamais empiéter sur la matière grise. L’idée était alléchante, mais avec Luc Besson aux commandes, que pouvait-elle engendrer comme résultat ?

On va faire bref : hormis un personnage de femme forte et une poursuite dans les rues de Paris qui nous file un délicieux vertige, bon courage pour tenter de retrouver ici ce qui constitue hélas depuis plusieurs années la « patte Besson », à savoir du bourrinage décomplexé en cascade, du découpage surspeedé commis par un monteur sous taurine, du rap de supérette en guise de bande-son, des bimbos sexy fringuées comme des tapineuses et des clichés sur pattes à la limite du dérapage xénophobe. Les caractéristiques les plus gonflantes du produit labellisé EuropaCorp et scénarisé Luc-La-Main-Froide n’ont plus lieu d’être dans Lucy, et ce n’est pas plus mal. Comme pris d’une soudaine envie de voir les choses en grand, Luc Besson a enfin rangé ses lourdeurs scénaristiques dans le plus bas tiroir de sa commode pour renaître en chantre d’un divertissement à la fois ambitieux et barré, tel qu’on ne l’avait plus vu depuis Le cinquième élément. Et comme le supposait déjà son titre, toute la réussite du film se filtre au travers du fonctionnement interne de sa figure centrale, laquelle confère un nouveau relief à ce que l’on peut appeler « l’héroïne bessonienne ».

Pour faire simple, de Nikita à Jeanne d’Arc en passant par Matilda et Leeloo, le parcours d’une héroïne chez Luc Besson obéit toujours à trois règles : 1) acquérir un relief et une maturité qui transcende un tempérament initial de femme-enfant, 2) conquérir son propre territoire à travers un tempérament de lutteuse et/ou de fonceuse, 3) présenter des attributs physiques à la fois généreux et inattendus. Déjà, la troisième règle fiche le camp : nouvelle venue dans la galaxie Besson, Scarlett Johansson est ici moins exploitée visuellement pour sa plastique que pour son potentiel mutant, déjà révélé au grand jour cette année dans Her (où elle n’avait pas de corps) et Under the skin (où elle jouait un extraterrestre ayant investi le corps d’une humaine). Mais sur les deux premières règles, il y a de la nouveauté : ici, plus question d’exploiter les aptitudes obtenues à des fins personnelles (qui plus est avec la présence d’un mentor pour jouer le rôle du régulateur), mais tenter au contraire de faire l’éloge du partage de connaissances (d’où le personnage d’expert du cerveau joué par Morgan Freeman), quitte à ce que l’enjeu sacrificiel vienne au final s’inviter dans l’équation. En cela, on peut rapprocher Lucy de Leeloo, toutes deux dotées de capacités surhumaines et lancées sur une voie de connaissance visant à remettre l’humanité dans la bonne voie. A chacune son cerveau boosté, riche d’étendre son potentiel vers un horizon indéfini.

Certes, sur le fond, mieux vaut ne pas s’attendre à voir Luc Besson chercher ouvertement à tutoyer le vertige métaphysique d’un Kubrick. Néanmoins, chaque crainte se voit ici effacée par une esquive malicieuse. Par exemple, si le film joue parfois la carte de l’illustration schématique (il suffit de voir cette mise en parallèle en intro des réflexes humains et animaux), jamais le scénario ne vire au gloubi-boulga philosophique où les termes compliqués se mêleraient aux théories supra-fumeuses. C’est que Besson, plus que désireux de laisser parler son imagination et de privilégier la lisibilité de l’image, utilise sans cesse son découpage pour stimuler son audience. La jouissance procurée par Lucy doit tout à un montage extrêmement malin, tour à tour accéléré et décéléré, usant en permanence des inégalités de rythme et des juxtapositions de scènes a priori déconnectées les unes des autres pour relancer les dès de son intrigue. De là résident ces nombreux entrecoupements de séquences purement narratives (en majeure partie des décharges d’adrénaline finement calculées) avec des instants plus posés, qu’il soit plus propices à la réflexion ou à la beauté graphique : on notera surtout des cours en amphithéâtre sur l’évolution du cerveau, quelques images globe-trotter piochées chez les copains (Samsara de Ron Fricke, Home de Yann Arthus-Bertrand, etc…), sans parler d’une info précise sur la supériorité cérébrale des dauphins (clin d’œil évident à la passion d’enfance du cinéaste) ou des rayons matrixiens illustrant les liens électromagnétiques qui inondent l’environnement humain.

Et lorsque Besson laisse son héroïne repousser ses propres limites en remontant le temps jusqu’aux origines du cosmos, faisant au passage se confronter les deux Lucy (la vraie et celle du film) dans un même plan, le film repousse ses propres limites en matière d’effets et de visuels, comme mû par le désir casse-gueule de compresser son rythme et sa vitesse au sein des traversées déchronologiques qui se déroulent sous nos yeux. On se rend compte a posteriori que les scènes d’action, surtout celles où Lucy déchaîne ses pouvoirs (ici des hommes collés au plafond comme des pantins désarticulés, là des voitures explosées en plein Paris), formaient pour le film une suite d’étapes à atteindre dans sa gourmandise graphique, à l’image des cellules d’un organisme en plein bouillonnement intérieur. Ainsi va Lucy, film-cerveau chimique sans prise de tête, organisme autonome calqué sur le schéma interne de son héroïne (en gros, toujours « plus ») et épaulé en cela par des phases plus reposées qui laissent l’esprit prendre du recul sur les choses. Mais surtout opus du renouveau pour Besson, où Luc fait de Lucy l’incarnation d’un aboutissement personnel : celui d’un énième personnage d’héroïne en transformation qu’il amène finalement à son stade terminal, sous couvert d’une drogue expérimentale (un cinéma sans limites pour lui, des cristaux bleus pour elle) qu’ils ingurgitent de façon réciproque. Et cette came-là, en tout cas, c’est de la pure.

Laisser un commentaire

Lire les articles précédents :
Seconds – L’opération diabolique

Courte-Focale.fr : Critique de Seconds, de John Frankenheimer (Etats-Unis - 1967)

Fermer