L’Ile Du Dr. Moreau

Il est des films qui foutent tellement la honte lors du premier visionnage qu’on met longtemps à s’interroger sur la raison de ce qui a pu motiver les studios sur leur mise en chantier. Disponible en DVD et Blu-Ray depuis déjà plus d’un mois (qui plus est dans une version qui n’a en fait de « director’s cut » que le nom), le remake de L’île du Dr Moreau par John Frankenheimer en est un bel exemple, doublé de l’honneur de rester dans les annales d’Hollywood comme l’un des pires gaspillages de l’époque. Avec, au sommet de la pyramide d’erreurs, une question vitale : à quoi bon remaker pour la deuxième fois l’un des meilleurs livres de H.G. Wells ? L’auteur de cette critique n’ayant pas vu les précédentes adaptations (la première date de 1933, le premier remake date de 1977), il ne sera pas question d’effectuer un comparatif. Mais on peut arguer, au vu de l’intérêt culte entourant le premier film (avec Charles Laughton dans le rôle du docteur Moreau), que ce second projet de remake ne résultait en rien d’un vrai désir artistique. Pour tout dire, l’entreprise sentait déjà le roussi avant même le début du tournage : sous l’impulsion du producteur Edward R. Pressman (à qui l’on doit pourtant un grand nombre d’œuvres marquantes, signées Ferrara ou De Palma) qui rejeta la première mouture du scénario, le légendaire Richard Stanley (Hardware) démissionna du poste de réalisateur et fut remplacé au pied levé par John Frankenheimer, cinéaste culte de Ronin et de Un crime dans la tête, lequel ne bénéficia d’aucune marge de manœuvre et fut contraint de compenser avec une vague de galères. En effet, entre des réécritures de scénario permanentes, un tournage en Australie gavé de problèmes logistiques, et surtout le comportement exécrable de Val Kilmer sur le plateau (on précisera qu’il était alors en plein divorce), il n’en fallait pas moins pour aller tout droit au casse-pipe. Aujourd’hui encore, quelques années après le décès brutal du réalisateur, revisionner ce nanar de compétition ne permet même pas d’envisager une réévaluation, ni même l’étiquette plutôt reluisante d’un éventuel « film malade ». Mais au moins, les fous rires involontaires n’ont pas disparu. Peut-on s’en contenter ? A vous de juger si toutes les explications qui vont suivre vous donnent envie de tenter une petite escapade sur l’île du portnawak.

Fascinant à plus d’un titre, le roman de Wells était avant tout une analyse radicale du côté sombre de la nature humaine, explorée et disséquée à travers les expériences d’un savant fou, le docteur Moreau, qui, isolé sur une île perdue au milieu de l’océan Indien, donnait vie à des créatures animales, résultat de la fusion entre des animaux et des gènes humains, auxquelles il tentait d’offrir le don de parler et de penser. Mais les mauvais côtés de l’être humain finissant toujours par resurgir à un moment donné, certaines créatures, devenues enragées et autonomes, se rebellent contre leur créateur. Voilà pour l’histoire originelle, ici conservée dans son ensemble, mais parasitée par des ajouts incongrus et une réflexion métaphysique si simpliste qu’elle frise la dissertation scolaire. Si bien qu’à la fin, la série B semble avoir parcouru toutes les lettres de l’alphabet pour tutoyer le Z. Pourtant, dans ses vingt premières minutes, l’affaire sentait plutôt bon : un générique épileptique sur fond de musique gothique, une arrivée sur l’île dont la dimension exotique est servie par de très beaux cadres, une inquiétude renforcée par de petits travellings discrets, une production design à la hauteur des espérances, etc… Mais dès que l’on rentre dans le vif du sujet, tout part en sucette. La raison tient en deux mots : Marlon Brando. Car il faut le voir, cet immense acteur réduit ici à transformer le docteur Moreau en parodie improbable du colonel Kurtz : tartiné de maquillage comme un drag-queen, fringué d’une robe blanche qui dissimule mal une sacrée surcharge pondérale, assis sur une croisement entre la Jeep et la papamobile, coiffé d’un convertisseur calorique (en fait, un banal seau à glace !) qui se recharge à base de glaçons vu qu’il ne peut pas supporter le soleil, l’acteur incarne donc Moreau, qui règne sur cette tribu d’hommes-bêtes sous le surnom de « Père » et inflige des décharges électriques à tous ceux qui oseraient transgresser la « Loi ». Déjà, rien qu’avec cette image, on a complètement oublié de quoi parlait le roman de Wells et on s’est égaré dans un énorme fou rire.

Alors, forcément, vu que les créatures finissent par en avoir marre d’être traitées comme des esclaves et par deviner le moyen d’échapper aux punitions de Moreau (ils peuvent s’extraire une puce électronique du corps), la révolte est en marche et Moreau va finir dévoré par ses propres créatures au moment même où il voulait leur apprendre le piano (!). Notons d’ailleurs que lorsqu’il joue au piano avec un homme-bête de toute petite taille, on a l’impression de voir le Dr Denfer et son « Mini-Moi » jouer du piano dans Austin Powers 2. Pour le reste, c’est juste le bordel à tous les étages : la fille du Dr Moreau (jouée par Fairuza Balk) danse au petit matin sur du Deep Forest, Val Kilmer semble défoncé à on ne sait quelle drogue pendant tout le film et va même jusqu’à se déguiser en Moreau dans une scène ridicule sur fond de rock FM pourrave, Ron Perlman et Mark Dacascos sont totalement méconnaissables sous leur maquillage (du coup, impossible de savoir s’ils jouent bien), des petites créatures en 3D ont dû s’enfuir d’une prise ratée de Jumanji pour venir faire une petite apparition inutile, et la révolte finale vire au bordel insondable, vu que tout le monde tire sur tout le monde dans un bain de sang incontrôlable. Du coup, quand le film s’achève, on est un peu dans le même état que le héros, joué par un David Thewlis qui semble d’ailleurs mal casté à force de donner l’impression de s’ennuyer et de ne pas savoir quoi faire dans tout ce bazar.

Au vu d’un tel gaspillage de fric, n’y a-t-il donc rien à sauver en définitive de L’île du Dr Moreau ? En fait, si : on pourra toujours reconnaître que le décor paradisiaque, très bien filmé et relativement bien exploité, vaut le coup d’oeil en raison de quelques jolis cadres conçus par Frankenheimer, et faire preuve de compassion sur deux ou trois maquillages signés Stan Winston (et encore, ils ne sont pas tous très crédibles). Mais c’est bien trop peu pour sauver une entreprise qui aura tellement dégoûté le moindre de ses participants que chacun d’eux préfère aujourd’hui ne plus l’évoquer. Pas sûr qu’il soit nécessaire de faire pareil, vu qu’on peut y prendre un certain pied à contempler un univers où tout le monde fait son numéro sans jamais se soucier de la cohérence de l’ensemble. Une fois encore, à vous de décider…

Réalisation : John Frankenheimer
Scénario : Richard Stanley, Ron Hutchinson
Production : Edward R. Pressman, Claire Rudnick Polstein, Tim Zinnemann
Bande originale : Gary Chang
Photographie : William A. Fraker
Montage : Paul Rubell, Adam P. Scott
Origine : Etats-Unis
Date de sortie : 8 janvier 1997

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