Les Indestructibles 2 : « Rien de tel que l’ancienne école »

REALISATION : Brad Bird
PRODUCTION : Pixar Animation Studios , Walt Disney Pictures
AVEC : Craig T. Nelson, Holly HunterSarah Vowell
SCENARIO : Brad Bird,
PHOTOGRAPHIE : Mahyar Abousaeedi, Erik Smitt
MONTAGE : Stephen Schaffer
BANDE ORIGINALE : Michael Giacchino
ORIGINE : Etats-Unis
GENRE : Action
DATE DE SORTIE : 4 juillet 2018
DUREE : 1h58
BANDE-ANNONCE

Synopsis : Notre famille de super-héros préférée est de retour ! Cette fois, c’est Hélène qui se retrouve sur le devant de la scène, laissant à Bob le soin de mener à bien les mille et une missions de la vie quotidienne et de s’occuper de Violette, Flèche et de bébé Jack-Jack. C’est un changement de rythme difficile pour la famille d’autant que personne ne mesure réellement l’étendue des incroyables pouvoirs du petit dernier… Lorsqu’un nouvel ennemi fait surface, la famille et Frozone vont devoir s’allier comme jamais pour déjouer son plan machiavélique.

Hollywood possède une fâcheuse tendance à décliner en franchise ce qui a du succès. Je ne pense pas que toutes les histoires s’y prêtent. Le monde n’est pas meilleur grâce aux Dents de la Mer 2. Il y a des exceptions bien sûr comme Star Wars, Le Parrain ou Goldfinger, le troisième James Bond qui est pour moi le meilleur de la série. Quand on reprend une idée pour faire mieux que l’original, pourquoi pas ? J’aime les personnages des Indestructibles et j’aurais du plaisir à les retrouver mais pas maintenant. Il y a deux ou trois petites choses que j’ai envie de faire avant.

Depuis cette déclaration à la sortie des Indestructibles, Brad Bird a effectivement fait quelques petites choses. Peut-être pas exactement ce qu’il avait en tête à ce moment-là (l’arlésienne 1906 ) mais il ne s’est pas pour autant reposer sur ses lauriers. Sauvetage d’une production Pixar mal en point (l’époustouflant Ratatouille), passage aux films en prise de vue réelle sur une franchise-star (le grisant Mission Impossible : Protocole Fantôme), élaboration d’un grand spectacle rappelant le puissance de l’optimisme (l’émerveillant À La Poursuite de Demain)… Des expériences diverses mais constamment passionnantes. Elles faisaient espérer le meilleur pour le jour où Bird déciderait de se repencher sur la famille Parr. Cependant, une petite voix malveillante résonne au fond de notre caboche. Brad Bird n’a-t-il pas des arrière-pensées intéressées en faisant aujourd’hui Les Indestructibles 2 ? Par ses prises de paroles et le seul fait qu’il a attendu plus de dix ans avant de s’atteler à cette réalisation, on suppose que l’intention de Bird est honnête et qu’il est motivé par une histoire digne de ce nom. Toutefois, Les Indestructibles 2 fait suite à l’injuste échec commercial de À La Poursuite de Demain. Le cinéaste ne voit-il pas là l’opportunité de signer une production sécurisée dont le succès est pratiquement assuré à l’avance ? Les résultats au box-office du premier week-end américain le confirment d’ailleurs. Une source d’inquiétude supplémentaire vient du choix de commencer cette suite pile où se terminait le premier opus. Le doute est d’autant plus fort même ce début renvoie carrément au court-métrage Jack-Jack Attack. Cette volonté de reprendre les choses en l’état peut-elle véritablement se marier avec la recherche d’une histoire originale ne rabâchant pas les idées d’il y a quatorze ans ? Et bien, Brad Bird va nous nous prouver que c’est possible. Ça sera justement le moteur de son film.

Bird reconnaît que Les Indestructibles 2 est le long-métrage qu’il a eu le plus de mal à définir dans sa carrière (cf son entretien auprès des amis de Cloneweb). Cette difficulté est causée précisément par le fait de donner une suite à une de ses œuvres. Comment créer un film surprenant qui soit en même temps cohérent avec l’univers posé ? Pour expédier le principal reproche à faire envers ce second opus, on avoue qu’il n’a plus la fraîcheur de l’original. À titre d’exemple, les transformations d’Elastigirl dans le premier volet provoquaient une stupéfaction constante. La voir récupérer ses enfants en plein vol avant de se déployer en parachute est le genre de moment fabuleux où se mêlent étonnement et fascination. Evidemment, la revoir ici employer cette technique ne procure pas un choc similaire. Sur plusieurs points, Les Indestructibles 2 se fonde donc sur des acquis. Heureusement, il n’oublie pas d’en tirer partie. Un nouveau sauvetage en chute libre se couple ainsi avec le pouvoir d’un autre personnage injectant une dynamique et une tension à une séquence extrêmement prenante. Pareillement, les pouvoirs d’Elastigirl sont utilisés au mieux lors d’une épatante poursuite à moto.

Ce flirt entre l’ancien et le nouveau est également au cœur d’une autre séquence. Dans Les Indestructibles, une scène de repas plantait toutes les problématiques de la famille. Tel un écho, c’est une scène de repas qui pose leur dilemme actuel : doivent-ils redevenir des super-héros ou rester une famille parmi tant d’autres ? Car comme le rappelle le début du film, les événements dans Les Indestructibles n’ont finalement guère amélioré la position des super-héros au sein de la société. Malgré un processus de changement en marche, ils demeurent des hors-la-loi. Le sentiment d’accomplissement à la fin des Indestructibles signifiait plus une union de la cellule familiale qu’un bouleversement des mentalités de la masse. Et encore, le conflit entre l’ordinaire et l’extraordinaire met à mal le fonctionnement de la famille. En atteste la scène d’ouverture où Jack-Jack est traité comme un boulet que chaque membre se refile pour vaquer à ses prestations super-héroïques. Naturellement, c’est Jack-Jack qui finira par ramener de l’ordre là-dedans. Tout en étant un imparable voleur de scène (on lui doit le combat le plus improbable et impressionnant de la décennie), son innocence et sa pureté lui permettent de redonner sa stabilité à la famille.

Il y a donc une forme de désillusion dans les prémisses de cette suite. Mais ce côté « plus les choses changent, plus elles restent les mêmes » n’est-il pas logique au regard de la situation actuelle de Brad Bird ? Comme dit plus haut, Les Indestructibles 2 vient après l’échec au box-office de A La Poursuite De Demain. Ce projet lui tenait particulièrement à cœur au point de rejeter l’offre de réaliser un Star Wars. Or, c’était déjà le cas à l’époque de Les Indestructibles. Ce dernier était précédé par le bide du Géant de Fer, un chef d’œuvre qui mettra du temps à trouver son public et sur lequel il s’était énormément investi (voir l’excellent documentaire The Giant’s Dream pour le constater). Si l‘invitation de son ami John Lasseter à Pixar lui sauve la mise, l’impact sur le moral est inéluctable. On peut se demander jusqu’à quel point il y a du Brad Bird dans Bob Parr. Glorieux héros hier, Parr se voyait condamné à un boulot de gratte-papier. Ce travail, il l’exerce certes en accord avec ses convictions mais il n’en éprouve pas moins le besoin de s’en délivrer. Et pour ça, il est prêt à accepter le mauvais job. Ajouté au thème du fan qui se sent trahi et se retourne contre l’objet de son affection, c’est peut-être un de ses futurs hypothétiques qu’envisage Bird avec son histoire.

Les Indestructibles 2 pourraient se voir de la même manière. Bien qu’il ait fait ses preuves, sa stature professionnelle ne semble plus si certaine et on imagine que l’égo en prend un coup. C’est probablement là qu’est le cœur de cette idée d’inverser les rôles entre Bob et Helen. Le concept a une apparence très convenue et laisse se profiler un fond moralisant. Néanmoins, il va prendre une direction différente. Le problème de Bob n’est pas de se retrouver prisonnier d’un rôle d’homme au foyer qu’il verrait comme un gâchis de son talent. Cela voudrait dire qu’il n’a pas appris grand chose du premier film. Son souci tient à la frustration de ne pas être à la hauteur de ce rôle. Comme il l‘exclame en arrivant au comble de l’énervement, il est Monsieur Indestructible et il se doit en conséquence d’être super en tout point. Il ne peut pas être juste un homme au foyer. Il doit être le meilleur des hommes au foyer. Il se refuse à l’imperfection, ce qui en soit tient de l’impossible de par la multitude de variables régentant la vie de famille. Il omet trop sa potentielle faillibilité de super-héros. En ce sens, on peut considérer comme heureux que c’est Helen qui est élu pour jouer les super-héros en public. À l’exigence maladive de Bob, Helen incarne un versant plus consciencieux et terre-à-terre. Elle est plus capable d’appréhender ses responsabilités plutôt que de s’en délecter (ce qui ne l’empêche pas de redécouvrir les joies procurées par l’héroïsme). Cependant, ça n’est pas pour ce trait de caractère qu’elle a été privilégiée à Bob.

Les Indestructibles 2 reste ainsi toujours une introspection de la figure du super-héros, lorgnant comme son prédécesseur vers le Watchmen d’Alan Moore et Dave Gibbons (un personnage secondaire le citant même directement). Bird ne pouvait pas passer outre que la production cinématographique du genre a bien évolué depuis le premier épisode. Le MCU a émergé et domine tout ce pan culturel. En évoquant un film qui semble être Avengers : Infinity War , Bird n’est pas tendre envers la branche voisine de Disney.

Les Indestructibles 2 s’est d’ailleurs attaché à vilipender toute approche cynique du genre. L’un des enjeux du film vise à modifier la loi pour que les super-héros redeviennent légaux. Pour se faire, l’arme utilisée est les médias. Il faut montrer les super-héros sous leurs meilleurs jours, mettre à l’écart les destructions qu’ils peuvent causer pour mieux nous rendre estimable la noblesse de leurs combats. C’est en cela qu’Elastigirl est retenue au lieu de Monsieur Indestructible, pas pour de strictes raisons de compétentes mais parce que selon des études de marché, elle est moins brutale et plus séduisante pour le public. Toute l’opération ne tient qu’à ça : rebâtir la réputation du super-héros non pas en partant de ses fondations mais en jouant sur ses aspects les plus superficiels.

On comprend aisément l’exaspération d’Elastigirl face à de telles méthodes, elle se retrouvant à faire le pied de grue dans une ville à forte criminalité en attendant le crime approprié pour son entrée en scène. Ce qui est prôné, c’est le super-héros dans tout ce qu’il a de plus simpliste. C’est celui qu’on aime parce qu’il a un look trop cool et dont entonne bêtement l’hymne lorsqu’il passe dans le ciel. Une vision infantile et faussée puisqu’omettant l’humanité de ces personnages, celle-là même par laquelle ils risquent de flancher mais qui leur donnent aussi leurs forces de caractère. Les Indestructibles 2 met ainsi l’accent sur le danger d’être trop focalisé sur la représentation d’un sauveur omniscient et les catastrophes qu’elle peut engendrer. A cette confection artificielle (se prolongeant dans un méchant fabriqué et n’ayant théoriquement pas d’existence), Brad Bird oppose en toute logique sa propre version. Le super-héros n’est pas censé être une béquille où on repose tous ses espoirs mais il doit être source d’inspiration. Ça n’a rien d’étonnant que Bird interprète Edna Mode. Ce personnage est l’illustration de cette idée, puisant sa créativité dans ce qu’incarnent ces « Dieux ».

Et Bird lui-même n’en manque pas d’inspiration. En revenant à cet univers, il montre à quel point son regard de réalisateur s’est affiné avec les années. Son utilisation des jeux d’échelle, des perspectives et de la vitesse nourrissent des scènes d’action plus grandioses les unes que les autres. Mieux, il les gratifie d’idées en matière de lumière qui leurs rajoutent encore du sel (dont un affrontement en espace confiné qui vaut au film un message préventif à l’entrée des salles). Enchaîner les deux épisodes, c’est voir un cinéaste dont le style a gagné en assurance et est toujours plus apte pour mettre à profit les possibilités de l’animation (un gag cartoonesque impliquant Violette vous vaudra votre plus gros éclat de rire de l’année). Ce perfectionnement se sent également du côté de la musique de Michael Giacchino. Le compositeur force moins sur la référence à John Barry, tout en restant fidèle aux accords jazzy instaurés. Les Indestructibles 2 n’a donc définitivement rien d’une suite forcée. C’est l’œuvre dont ses auteurs avaient besoin pour aller de l’avant… et au bout du compte, nous en avions nous aussi besoin.

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