La secrétaire

REALISATION : Steven Shainberg
PRODUCTION : Double A Productions, Metropolitan FilmExport
AVEC : Maggie Gyllenhaal, James Spader, Jeremy Davies, Lesley Ann Warren, Stephen McHattie, Patrick Bauchau, Jessica Tuck
SCENARIO : Steven Shainberg, Erin Cressida Wilson
PHOTOGRAPHIE : Steven Fierberg
MONTAGE : Pam Wise
BANDE ORIGINALE : Angelo Badalamenti
ORIGINE : Etats-Unis
GENRE : Comédie, Erotique, Romance
DATE DE SORTIE : 4 juin 2003
DUREE : 1h44
BANDE-ANNONCE

Synopsis : Lee Holloway n’a pas vraiment tous les atouts de son côté lorsqu’elle vient solliciter un emploi de secrétaire auprès de l’avocat E. Edward Grey. Premièrement, il n’y a que très peu de temps qu’elle a quitté l’hôpital psychiatrique où elle avait été internée. Deuxièmement, après seulement une journée passée au sein d’une famille étriquée et étouffante, elle a de nouveau succombé à son penchant pour l’automutilation. Bien qu’elle n’ait jamais tenu d’emploi de toute son existence, Lee est tout de même embauchée par Mr Grey. Au début, son travail est banal. Mais bientôt, entre taper à la machine, faire le café et classer les dossiers, une étrange relation se noue entre Lee et Mr Grey. Cette liaison est découverte par la famille de Lee et par Peter, son épisodique petit ami…

Film sur une histoire d’amour sadomasochiste entre une jeune femme un peu niaise et un homme dominateur répondant au nom de M. Grey : à la lecture de ce pitch, il va forcément y avoir un nom de film (ou de livre) qui va vous venir à l’esprit en moins d’une seconde. Ce ne serait pourtant pas le seul, puisque la romancière E.L James et la réalisatrice Sam Taylor-Johnson se sont finalement fait brûler la politesse il y a treize ans par un jeune cinéaste américain nommé Steven Shainberg. Ce dernier, déjà auteur d’un petit thriller de 1996 intitulé Hit me et encore inédit en France, s’était alors lancé dans l’adaptation d’une courte nouvelle d’à peine douze pages, laquelle ne concernait d’ailleurs que le point de départ de l’intrigue du film. Une intrigue que l’on serait presque amusé de résumer en seulement trois mots : mutilation, humiliation, punition. Non, ne vous y trompez pas, c’est en réalité une histoire d’amour. Et cela concerne une relation sado-maso entre un avocat et sa secrétaire. Oui, sérieusement, c’est bien une histoire d’amour. Et pour en rajouter une couche, l’affiche du film, appât symboliquement malin plutôt que publicité réellement racoleuse, n’a strictement rien à voir avec le contenu réel du film. Ne pas croire que cette paire de jambes en résilles et talons aiguilles, reliées à un joli postérieur rebondi et resserré dans une micro-jupe, en appelle à tout un pan du fantasme bureaucratique, quitte à inciter le spectateur à s’attendre à une banale histoire de cul où la zone du visage importe moins que celle de l’entrejambe. Oui, il y aura bien des fessées ici. Mais on insiste : c’est une histoire d’amour.

Même si le sujet et son traitement auront de quoi pousser quelques féministes à hurler à l’autodafé (laissons-les piailler dans leur coin), La secrétaire évite avec brio toute forme de vulgarité et de scandale. La force du film est avant tout d’explorer l’origine de la pulsion sadomasochiste, celle du dominant comme celle du dominé, sans pour autant chercher à en faire un vecteur de culpabilité ou de honte – ce qu’un cinéaste hollywoodien classique se serait empressé de faire. Ici, tout n’est ici qu’une question de réadaptation à la vie, d’épanouissement personnel et d’assumation de sa singularité. Deux personnages sont au centre de l’étude. D’un côté, Lee Holloway (Maggie Gyllenhaal), jeune femme enfin libérée d’une période d’internement en hôpital psychiatrique, mais qui, de nouveau confrontée à une cellule familiale conflictuelle (surtout un père borderline et une mère laxiste), renoue avec sa tendance à l’automutilation. De l’autre, Edward Grey (James Spader), avocat maniaque et perturbé par un récent divorce. Le second recherche une nouvelle secrétaire, la première répond à l’annonce. Elle est engagée, mais accumule par la suite les erreurs de saisie à la machine malgré sa bonne volonté. Jusqu’à ce qu’une violente claque sur les fesses ne vienne tout bouleverser…

Deux inadaptés de la vie, véritables journaux intimes de cicatrices intérieures et extérieures, qui trouvent enfin un sens à leur existence et reprennent goût à celle-ci en conjuguant leurs fêlures : on voit d’ici le tableau d’une relation où l’une, épanouie dans la soumission, et l’autre, épanoui dans la domination, formeraient un prototype assez gonflé de « couple parfait ». Certes, il y a de cela ici, surtout en ce qui concerne l’épilogue à la fois optimiste et taquin du récit. Mais le film ne joue pas sur la corde raide d’une addiction SM qui prendrait vie sur le coup d’un choc inattendu (la fameuse claque, donc). Cette scène électrique est au contraire un catalyseur émotionnel, l’instant magique qui pousse l’un à dévoiler ses penchants tout en révélant ceux de l’autre, comme pour mieux avouer leur caractère fusionnel. En l’état, on pourrait parler de déclaration d’amour, et c’est bel et bien le cas. Les deux protagonistes sont déjà tellement surchargés de névroses qu’ils s’efforcent – en vain – de refouler, jusqu’à finir par envisager de les apprivoiser au cœur d’une relation amoureuse. Preuve en est que Grey, derrière son allure d’avocat hautain et obsédé par le respect des règles établies, souffre en cachette de l’idée d’assumer quotidiennement ses pulsions « anormales », et que Lee, derrière son allure de poupée fragile et mélancolique, veut tellement être une bonne secrétaire qu’elle semble prête à relever tous les défis, surtout celui de la chair et de la souffrance.

La lutte de pouvoir qui s’en suit, consentie et inédite, fait donc mine d’installer des jeux sexuels hiérarchisés, tous reliés à une déviation insolite et humiliante du travail de secrétaire (ramper à quatre pattes jusqu’au bureau, faire le cheval avec une carotte dans la bouche, apporter le café et les dossiers tout en étant enchaînée, etc…), pour mieux en révéler le caractère ludique, pour ne pas dire attendrissant. Parce qu’ici, sur le fond, le fait de transgresser la « règle » est relégué au même niveau que le fait de la respecter – la dimension transgressive du film ne réside pas là. Shainberg donne certes l’impression de choquer par un ton érotico-narquois (bien que chargé d’une vraie sève dramatique, le film est avant tout très drôle), mais son ode à l’anormalité s’efface très vite au profit d’une ode à la complémentarité, celle de deux corps qui se rejoignent et atteignent l’hédonisme par la fusion de leurs névroses respectives (aveu déchirant de Lee : « Je ressens la souffrance plus qu’auparavant, et j’ai trouvé quelqu’un avec qui la ressentir, l’aimer et jouer avec »). Et le jeu n’est jamais absent de ce processus d’apprivoisement, Grey n’hésitant pas à mettre Lee à l’épreuve, aussi bien pour aller chercher un dossier jeté par erreur (ben voyons !) au fond d’une benne à ordures que pour entrevoir les limites de leur amour fou (le « test final » est émotionnellement éprouvant). Même Jane Campion, dont les premiers films – surtout le très vénéneux Sweetie – peuvent apparaître comme les prédécesseurs de La secrétaire, ne serait sans doute pas allée aussi loin dans l’humour (dé)culotté.

Par instants, Shainberg prend également soin d’offrir à son film une discrète – mais bien visible – dimension féérique, comme pour tenter de faire apparaître le symbole au sein même du cadre. Certes, sa mise en scène très précise mais néanmoins assez low-profile ne lui permet pas toujours d’atteindre cet objectif (c’est bien là le seul petit défaut que l’on pourra relever), mais il y parvient souvent, surtout au travers du contexte familial de Lee. La chambre de celle-ci pullule en effet de jouets enfantins, d’étoiles violettes et de boules à paillettes, mais tout ceci n’est peut-être qu’un cadre lui aussi sujet à détournement – voir ce rêve érotico-onirique où Lee surgit du centre d’une corolle face à Grey. Il en est de même pour cette figure de « poupée cassée » qu’incarne Lee, étendue dans une piscine le visage à moitié coupé par la surface de l’eau, ou pour la première rencontre entre les deux héros, qui renvoie explicitement à un conte de fée : Lee arrive dans l’antre déserte de son futur patron, cachée sous son imperméable violet et son parapluie, tel un nouveau Petit Chaperon Rouge prêt à se jeter dans la gueule du loup. Et que dire de la scène d’amour finale, se déroulant après que Grey ait emmené Lee jusqu’à son lit tel un prince charmant en train de porter sa promise dans ses bras jusqu’à leur chambre ? De toute façon, les deux acteurs mènent la danse : face à un James Spader toujours aussi génial et magnétique lorsqu’il incarne des personnages normaux assaillis par des déviances, Maggie Gyllenhaal, pourtant très éloignée du fantasme de la secrétaire sexy, révèle une émotion et une dignité qui suffisent à abattre tout soupçon de perversité. C’est son visage que l’on n’oubliera pas, et rien d’autre. Preuve encore que l’affiche était un mensonge très malin.

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