Cheval De Guerre

On l’a assez rabâché. En sortant à quelques mois d’intervalle Les Aventures De Tintin et Cheval De Guerre, Steven Spielberg nous joue la carte du grand écart. Le premier se pose comme un des jalons d’un cinéma virtuel émergent, le second comme un hommage à l’âge d’or d’Hollywood avec le cinéma fordien en tête. La preuve que du haut de ses soixante-cinq printemps, le réalisateur de Rencontres Du Troisième Type reste toujours aussi versatile et ne s’impose aucune limite dans l’assouvissement de ses désirs vis-à-vis d’un art qu’il chérit. Pour autant, là où on attendrait un plébiscite de tel choix de la part d’un cinéaste confirmé, nombre de critiques ne voient dans ces extrêmes que matière à épancher leur dédain. Tintin et sa pâte-à-modeler-motion-capteur-performance-jecépa est taxé de laideur graphique occultant le pouvoir de réalisme du cinéma (sic). Cheval De Guerre devrait logiquement les satisfaire avec son tournage minimisant les effets numériques et leur offrant les repères « réalistes » qui leurs semblent nécessaires. Un constat un peu trop simple comme l’aura montré Or Noir, autre grand spectacle à l’ancienne qui s’est fait magistralement ignoré quelques semaines avant la sortie de l’adaptation d’Hergé. A l’instar du film d’Annaud, Cheval De Guerre se voit critiqué par sa naïveté et un récit guimauve prêchant les bons sentiments. Il faut dire que dès les premières images, le projet récoltera nombre de moqueries prétextant qu’un film sur un cheval c’est pas bien sérieux. Que l’on ait des partis pris avant de voir un film est normal mais il convient d’accepter de rendre ceux-ci flexibles à la vision de l’ouvrage. Oui, Cheval De Guerre prêche de bons sentiments et des valeurs ancestrales mais Spielberg nous amène à ses émotions avec une force dévastatrice. Ne dit-on pas après tout que le chemin est plus important que la destination ? Au cinéma, il importe moins de flatter l’intellect en lui offrant un discours travaillé que de lui véhiculer un message par le biais d’une transmission d’émotions.

Revenons un peu à l’origine de l’entreprise. Cheval De Guerre est donc l’adaptation d’une pièce de théâtre elle-même adaptée d’un roman pour la jeunesse. Ce dernier nous conte l’histoire de Joey, un cheval vendu à la cavalerie britannique et traversant les horreurs de la première guerre mondiale afin de retourner chez lui. L’auteur Michael Morpugo choisira d’écrire l’histoire du point de vue du cheval, soit à la première personne. Une méthode qui rappelle un autre ouvrage mettant en avant un cheval : Black Beauty d’Anna Sewell. Egalement conté à la première personne, ce roman dévoile le regard de l’animal sur l’homme, sa société et son comportement. Le livre connaîtra plusieurs adaptations télévisuelles et cinématographiques. La dernière date de 1994 par Caroline Thompson (il s’agira de la première mise en scène de cette scénariste connue pour son travail sur Edward Aux Mains D’Argent et L’Etrange Noel De Monsieur Jack). Celle-ci respecte l’idée de retranscrire la vision extérieure de l’humanité et choisit en conséquence une narration soutenue par la voix-off du cheval. Un choix qui ne fut pas retenu pour l’adaptation au théâtre de Cheval De Guerre et auquel Spielberg souscrit. Pour le cinéaste, un tel outil serait trop facile et enlèverait une part du pouvoir de fascination du film. Ainsi, la perception de Joey sur le monde des humains devient moins cernable. Réciproquement, le spectateur se demandera ce qui passe par la tête de ce personnage. Il faudra pourtant reconnaître qu’en de nombreux moments, Spielberg impressionne en réussissant à diriger le cheval et à nous communiquer ses émotions.

En ce sens, Joey est presque une entité double. Il est un personnage à part entière et possède pourtant un pouvoir d’abstraction fort. Dans une interview accordée au magazine cinemateaser, Spielberg rejette d’ailleurs l’idée du journaliste que Joey soit davantage un concept qu’un personnage. Selon lui, le cheval n’a rien d’une métaphore… cela ne l’empêche pas d’ajouter qu’il est une force de la nature, innocente et pleine d’espoir. D’une certaine manière, il nous renvoie au personnage de Richard Dreyfuss dans le mal-aimé Always. Dans cet autre spectacle rétro injustement considéré comme d’une niaiserie insupportable, Dreyfuss joue un ange-gardien chargé d’inspirer un jeune pilote ayant de plus des vues sur son ancienne petite amie. Ce héros passe par un parcours émotionnel, tout en satisfaisant à son rôle surnaturel même si parfois involontairement. Joey a le même déroulement et bénéficie des mêmes pouvoirs. Il est un être vivant et réagira avec émotion lors de son périple… mais il apparaît également malgré lui comme une figure de pureté et d’appel au dépassement de soi. Il exerce naturellement chez l’homme un pouvoir de fascination. Dès sa naissance, Albert le contemple avec émoi. De même, son père sera attiré par sa beauté et cherchera à l’acheter à tout prix alors qu’il ne sera d’aucune utilité à la ferme. Face à une humanité qui ne peut pleinement percer ses pensées, il devient un objet de fascination qui se muera en instrument de la destinée.

La destinée est le moteur même du récit. Tout tourne autour de cette notion de chemin où tout se recoupe pour aboutir à une libération ou un accomplissement. L’apprentissage entre Albert et Joey devient ainsi la préparation même du périple à venir. Le film joue alors sur des effets d’échos et de concordances. L’acceptation du harnais pour labourer les champs lui permet d’accepter une tâche nécessaire à sa survie. Le labourage du dit champ l’a préparé au transport de l’artillerie. Quant à l’arrivée et au retour dans la ferme, ils sont soumis à la même épreuve de la vente aux enchères. A travers son aventure, Joey traverse donc un monde où tout semble le renvoyer à son cocon familial et relier l’homme autour des mêmes problématiques. Lorsqu’Albert apprend le courage dont a fait preuve son père à l’armée et l’absence de fierté qu’il en retire, cela renvoie à deux jeunes allemands déserteurs qui s’interrogent sur leur dignité. Le scénario se montre parfois dans ces mécanismes un peu trop mathématique (faut dire que c’est l’auteur de Love Actually au script) mais Spielberg en tire toujours le meilleur parti en jouant ouvertement dans ces instants sur le pouvoir insaisissable de Joey. En exemple, on citera la résolution du personnage interprété par Niels Arestrup qui finit par voir en ce cheval la possibilité de faire son deuil.

De ce fait, nous sommes bien là face à une pure œuvre de cinéma où c’est l’image qui nous transporte. Avec son cinémascope gonflé à bloc, Spielberg compose ses plans de telle manière à véhiculer ses notions. Pour ne citer qu’une des illustrations les plus évidentes, on citera la manière dont il filme les personnages séparés par des barrières pour symboliser les frontières à traverser. On ne comptera pas non plus les images poétiques de l’exécution du moulin avec ses personnages fauchés par le temps ou la traversée du no man’s land illustrant le propos sur les pigeons voyageurs. Tout devient une merveille de composition narrative et visuelle pour transmettre des choses aussi galvaudées que l’honneur et le courage. Le choix de la première guerre mondiale pour confronter ces notions n’est bien sûr pas innocent tant ce conflit à l’ampleur inimaginable et à la technologie évolutive en bouleversera la perception. Toutefois s’arrêter à ce contexte et à un « la guerre c’est moche » serait passer à côté d’une merveille de construction appelant à l’élévation de sentiments universels.

Réalisation : Steven Spielberg
Scénario : Lee Hall et Richard Curtis
Production : Dreamworks SKG
Bande originale : John Williams
Photographie : Janusz Kaminski
Origine : USA
Titre original : War Horse
Date de sortie : 22 février 2012

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