And Soon The Darkness

REALISATION : Robert Fuest
PRODUCTION : EMI Films, Associated British Productions
AVEC : Pamela Franklin, Michele Dotrice, Sandor Elès, John Nettleton
SCENARIO : Brian Clemens, Terry Nation
PHOTOGRAPHIE : Ian Wilson
MONTAGE : Ann Chegwidden
BANDE ORIGINALE : Laurie Johnson, Nellee Hooper
ORIGINE : Angleterre
GENRE : Thriller
DATE DE SORTIE : 4 juillet 1970
DUREE : 1H39
BANDE-ANNONCE

Synopsis : Deux amies anglaises partent en vacances en France et décident d’aller faire une balade à vélo. Quand l’une des deux disparait, la seconde doit la retrouver avant la nuit…

Jamais édité en France sur support numérique, le film de Robert Fuest est enfin accessible chez nous. C’est l’occasion de (re)découvrir cet incroyable thriller qui transforme une ballade dans la campagne de notre beau pays en un cauchemar total.

Avec sa sortie en Blu-ray par Studio Canal dans la collection Make My Day, c’est une longue attente qui s’achève pour And Soon The Darkness. Thriller culte en Angleterre, le film de Robert Fuest n’avait jamais été édité en France ; une aberration pour un long-métrage dont l’action se déroule justement dans notre beau pays. On peut donc espérer que cette édition donne un coup de projecteur sur le film, lui permettant d’atteindre sa juste réputation de thriller d’exception auprès des cinéphiles français. C’est d’ailleurs là où l’on peut remercier le travail fourni pour une sortie sur support physique, offrant l’opportunité de faire un minimum de bruit sur des films trop longtemps ignorés. Il faut dire que nous sommes actuellement dans une ère transitoire quant à notre consommation du cinéma : le marché DVD/BR est déclinant alors que se déploient en masse les plateformes SVoD. L’avenir semble se tourner vers le dématérialisé qui aujourd’hui possède ses qualités et ses défauts. Grand représentant en la matière, Netflix n’est pourtant pas à la pointe de la communication quand il s’agit de promouvoir son catalogue. Quel intérêt alors de donner une accessibilité à un grand nombre d’œuvres pour un prix relativement réduit si on ne mentionne pas leur présence ? Trop d’ajouts sont rendus invisibles par un algorithme privilégiant moins les visionnages de l’utilisateur que les programmes maison. Et même là, il y a des anomalies : certains ont découvert tardivement et par hasard la mise en ligne de l’excellent The Forest of Love de Sono Sion. Le pire étant qu’en sus d’une communication sur les entrées imparfaite, celle sur les suppressions est inexistante. Ainsi, des films pourtant brillants végètent dans les fonds de tiroir avant de disparaître sans un son. Pour certains, ils retombent dans la plus totale invisibilité en France (légalement évidemment). C’est le cas du curieux Starry Eyes, du très beau Daughters of the Dust ou du sidérant documentaire Tickled. De quoi favoriser le support physique même si celui-ci a aussi ses failles. Suite à des séries de pressage défectueux, de nombreux disques sont devenus rapidement illisibles, ce qui nous rappelle qu’ils ne sont pas faits pour durer éternellement. Il convient également de noter que le marché de l’occasion n’est pas non plus synonyme d’accessibilité égalitaire (voir les prix prohibitifs si vous tombez sur certaines éditions rares de HK Video). Tout ceci ne rend que plus impératif d’entretenir une complémentarité des supports.

Vous excuserez cette petite digression pour seulement dire que And Soon The Darkness mérite d’être vu. Studio Canal termine en quelque sorte la démarche de Carlotta qui avait édité il y a trois ans Terreur Aveugle de Richard Fleischer. Sortis à un an d’écart, les deux films partagent le même scénariste, Brian Clemens. Ce dernier a écrit les deux thrillers dans un esprit similaire, il n’aborde pas l’horreur au travers d’artifices ostentatoires et éculés mais en la laissant pénétrer le contexte le plus banal. Il troque les ambiances sombres et étranges pour celles lumineuses et quotidiennes. De ce fait, il montre une forme de Mal qui ne s’arrête à aucune frontière précise et est capable de surgir n’importe où. Avec Terreur Aveugle, Clemens n’était pas le premier à mettre en scène un personnage non-voyant aux prises avec un tueur. Dans son introduction au film, Nicolas Saada déclarait d’ailleurs qu’on pouvait définir cela comme un sous-genre. L’intérêt tenait à l’articulation d’une intrigue qui sera parfaitement mise en image par Fleischer. Durant une bonne partie du film, c’est le moteur de l’horreur : on voit l’héroïne agir normalement sans se rendre compte qu’elle déambule au milieu de sa famille massacrée. La maison n’a plus rien d’un cocon protecteur et, même si on ne la voit pas, la menace plane en permanence. L’idée se prolonge lorsque le jeu du chat et de la souris en huis-clos vire à une fuite en pleine air. La liberté acquise ne solutionne rien et ne représente qu’un nouveau piège plus grand. Le monde devient une prison gigantesque et cette idée est au centre de And Soon The Darkness.

Le titre avec sa promesse de ténèbres contient en ce sens un soupçon d’ironie. Il ne sera jamais à proprement parler question d’obscurité dans l’esthétique du film. On peut imaginer la déconvenue du spectateur devant l’atmosphère chaleureuse de l’ouverture, nous laissant suivre deux charmantes touristes anglaises en vacances dans la campagne hexagonale. La musique guillerette de Laurie Johnson en rajoute une couche dans le côté outrageusement joyeux de ce périple à vélo sous un soleil resplendissant. Le soleil illuminera l’intégralité du film et ne laissera la place à aucune ombre à l’écran. Car le mal n’a plus à se tapir dans le noir pour agir. Bien sûr, l’héroïne ne s’en doute pas au départ et le titre peut se rapprocher du compte à rebours qui va motiver ses actions : il lui faut retrouver son amie disparue avant la tombée de la nuit qui stoppera inévitablement ses recherches. Sauf que le mal n’a pas attendu le coucher de soleil pour se déchaîner, le contexte paisible posé initialement s’apparente alors à un mensonge dans lequel l’héroïne est contrainte d’évoluer. Le ver était déjà le fruit, on peut dire. La motivation du voyage des deux héroïnes montre elle-même que rien n’est aussi candide que l’on veut le croire.

Privilégiant l’efficacité à la psychologie, And Soon The Darkness ne cherche pas à proposer des portraits fouillés de ses personnages. Il préfère se concentrer sur l’instant pour présenter leurs caractéristiques de façon humaine et attachante. C’est ainsi que se détache rapidement la relation classique entre Cathy, la blonde impulsive, et Jane, la brune planificatrice. Leur dynamique s’affirme tout d’abord simplement comme les deux conceptions sur la manière de passer des vacances. Toutefois, leur opposition de caractère nous amène à reconsidérer les motivations de ces vacances. Ça n’est pas pour rien que la scène-pivot du film marquant la séparation des héroïnes soit la seule où leur passé est évoqué. On y apprend que les deux jeunes femmes font des études d’infirmière. Peu de temps avant de partir, leur internat a été frappé par un événement assez horrible : la mort d’un bébé. Bien qu’elle garde un ton lancinant, Cathy se sent obligé de dire que ce décès n’est pas sa faute. Mais le fait qu’elle le mentionne dans un environnement où elle devrait se déconnecter de tout montre que quoi qu’elle en dise, cela la travaille intérieurement. La suite de la discussion tend à le renforcer. On indique que leurs camarades de la même promotion font un voyage ensemble dans un autre pays. Il y a une sorte de mise à l’écart qui est sous-entendue et on peut supposer que c’est Jane qui a organisé le voyage pour soutenir son amie. Plus qu’une basique quête de repos, ces vacances apparaissent comme le moyen de soigner une culpabilité. Cela rend d’autant plus compréhensible la colère de Jane face au manque de gratitude de Cathy. A partir de là, c’est la fin de l’innocence et le basculement dans l’horreur.

Le domaine qui devait permettre l’épanouissement de la liberté et du bonheur se transforme alors en une monumentale geôle. Pour nourrir ce sentiment, l’écriture de Brian Clemens adopte une structure qui pourrait être jugée comme problématique. Toute l’intrigue va en effet se limiter à quelques lieux : un village, une forêt, une maison et un café. Ces quatre points sont reliés par une unique route. Autour, il n’y a que des champs à perte de vue. Ce décor planté, Clemens contraint son héroïne à ne plus faire que des allers-retours entre ces emplacements. En soit, cette pratique est dangereuse pour un scénariste, le spectateur aurait tendance à s’ennuyer à ne contempler que des va-et-vient entre une poignée de lieux connus. Il n’y a plus de surprise ou de découverte. C’est un gout de piétinement qui prédomine, une impression de faire du surplace. Et c’est précisément ce qu’il fallait pour accentuer la tension de And Soon The Darkness. Le film peut se caractériser comme un huis-clos à ciel ouvert. C’est ce concept paradoxal qui en fait toute sa force ; edépit de tout l’espace entourant l’héroïne, celle-ci reste prisonnière de la situation. Il lui est impossible de poursuivre sa route sans son amie et elle a beau les visiter et les revisiter, aucun des lieux accessibles ne lui offrent de solution. Elle demeure enfermée dehors et Robert Fuest ne se prive pas pour le souligner dans sa mise en scène par l’utilisation des paysages. A travers sa caméra, la campagne prend un aspect presque abstrait dans lequel les personnages sont noyés. Les couleurs sont vives entre le bleu d’un ciel sans nuage, le jaune du champ s’étendant jusqu’à l’horizon et le vert de la forêt. Par ces éléments, Fuest conçoit des compositions qui les assimilent à des murs immenses cernant l’héroïne. L’environnement conserve sa beauté tout en instillant le malaise par son statut de piège sans issue. L’usage du son y participe également. Le silence de la campagne devient assourdissant, imposant une sensation d’inactivité qui peut être rompu à tous moments. En contrepoint, la musique saura saturer nos tympans lors de moments-clefs cédant à la pure panique (notamment dans ce qui sera la levée du mystère).

S’il est dérangeant de voir les grands espaces se replier en une prison asphyxiante et oppressante, qu’en est-il des individus les peuplant ? L’héroïne ne pouvant plus avoir confiance dans l’apparence apaisante du décor, sa perception des habitants s’en retrouve affectée. On peut considérer que le public français perdra là un peu de la saveur du traquenard de And Soon The Darkness par rapport à un spectateur étranger. Une part de l’angoisse pour l’héroïne est d’être livrée à elle-même dans un pays dont elle ne maîtrise pas la langue. Ainsi elle ne peut jamais être tout à fait sûr de ce qui est dit et donc des intentions de ses interlocuteurs. Même quand les propos lui sont traduits par quelqu’un, elle ne peut être certaine qu’ils l’ont été fidèlement. A l’incertitude du visuel s’ajoute celle de la langue. On pense au cinéma de John McTiernan, grand homme d’image qui s’est pourtant toujours intéressé à l’utilisation du langage dans ses films. Mais chez McTiernan, l’intérêt se focalise moins sur le sens que sur la forme des dialectes. C’est la seule chose à quoi peut se rattacher l’héroïne. Lors d’une conversation, l’héroïne saisit par exemple le mot « meurtre » et le rapproche bien sûr par sa similarité au mot « murder ». Cependant, l’indication assez sinistre ne lui octroie guère plus d’information. Qu’est-ce que cache cette mention autour d’un meurtre ? Où et quand a-t-il eu lieu ? Le tueur a-t-il été arrêté ou rode-t-il toujours ? C’est là où en tant que français, nous sommes favorisé. Nous ne saisissons pas que des mots isolés mais l’intégralité des phrases et des informations. Nous bénéficions d’une vue plus complète de la situation et sommes moins désorientés qu’elle. Notre compréhension n’a pas à se baser uniquement sur l’allure des personnages, leurs comportements et les intonations de la voix. Des manières rustres ne signifie pas pour autant un emploi de mots comportant menace et insinuation inquiétant. En conséquence, le cinéphile français jouit d’une position privilégiée qui lui entame l’expérience.

Mais s’il nous faut reconstituer cette intention au lieu de la ressentir, le reste de And Soon The Darkness parle pour lui. Soit un thriller incroyablement bien pensé combinant des idées simples avec un grand sens cinématographique. Cela en fait plus qu’un sympathique divertissement et bien un modèle de série B qui derrière sa modestie cache une œuvre bousculant notre vision tranquille du monde.

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