[EN BREF] La religieuse / Les coquillettes

Pourquoi revenir à Diderot maintenant ? Il est clair que la subversion originelle, réappropriée par l’adaptation de Rivette, est perdue, d’autant lorsque cette nouvelle version propose une fin différente de celle du film de 1966… Pour Guillaume Nicloux, l’oeuvre littéraire a eu une importance toute personnelle, cette découverte ayant accompagné, dans son adolescence, la rupture avec des croyances religieuses de l’enfance et l’ouverture à une sensualité, une révolte. Soit. Mais pourquoi, dès lors, le résultat de ce projet à priori si personnel laisse-t-il autant de marbre, suscitant l’indifférence là où il serait supposé tout au moins déranger ? Près de deux heures durant, jamais le film ne parvient à trouver un peu de l’intensité qui aurait pu faire résonner l’universalité de son propos. La faute, principalement, à une forme délaissée au profit de prestations d’actrices souvent excessives par lesquelles Nicloux se laisse hypnotiser, oubliant parfois de regarder le combo. Le cinéaste ne tire qu’à peine profit des potentialités formelles offertes par ses beaux décors authentiques, esquisse çà et là des idées d’éclairage sans les pousser suffisamment à bout pour en tirer du sens… Bref, il ne prend que trop peu de risques et espère que la puissance émotionnelle émanera de quelques coups de théâtre ratés qui jalonnent un déroulement plat de l’histoire. L’intrigue peine à se nouer et l’héroïne traverse les milieux et les ambiances avec la même mollesse. La Religieuse fournit au final une triste preuve supplémentaire que jouer la pseudo-sobriété grisâtre et ne rien faire de son matériau reste un bon ticket d’entrée dans les grands festivals et une illusion bien pratique de respectabilité auprès d’une part de la critique…



Il suffit de jeter un coup d’oeil à l’accroche de l’affiche pour avoir une idée du niveau du film : « Les coquillettes, plus elles sont cuites, plus elles sont collantes. » Autour d’un plat de pâtes donc, trois amies se remémorent le festival où elles se sont rendues quelques mois auparavant, moins pour y présenter le nouveau film de l’une d’entre elles que pour y relâcher la pression et y trouver de quoi satisfaire leur appétit sexuel. Voilà donc encore un groupe de copines après celui de La Vie au Ranch (2010), à ceci près que les comédiennes – dont la réalisatrice – sont ici dans leur propre rôle. On retrouve le goût de Sophie Letourneur pour la parole incessante et souvent futile, pour les petites phrases bénignes mais se voulant frappantes ou drôles ou pour la captation d’une conversation par rapport à une autre, qu’elle aime ensuite faire se chevaucher (l’effet était parfois assez savant dans l’opus précédent). Pour autant, déjà à ce niveau-là, l’horreur de la post-synchronisation fige plus encore les comédiens dans les clichés qu’ils incarnent. L’embêtant, au-delà de la quotidienneté appuyée voire de la pure bêtise des dialogues, c’est que ceux-ci ne débouchent sur rien de comparable au trouble de la sortie de l’adolescence sur lequel La Vie au Ranch mettait le doigt. Où Letourneur veut-elle en venir en montrant à quel point le festival de Locarno (elle tourne lors de l’édition 2011 et y a montré son film en 2012) peut être, sous des dehors intellos, un rendez-vous de journaleux et de petits artistes en rut, où chacun a ses « plans culs de festival » et où tous s’entassent sur une banquette comme des ados attardés ou se courent inlassablement après ? La tentative d’auto-dérision connaît un échec cuisant et vire au pur ridicule, tout simplement parce que les personnages ne sont pas attachants une seule seconde, simplement imbuvables et improbables. Le plus dérangeant, c’est le rapport à son propre métier que dévoile la réalisatrice : nonchalant voire méprisant (« Je sais pas quoi faire, je vais peut-être même aller voir un film ! », sic), lorsqu’il n’en vient pas à nous terrifier : c’est cette greluche du Monde, cet ado attardé des Inrocks et de Libé ou ces nerds d’Allociné qui « font et défont » le cinéma en France ? Lorsque même les critiques d’une certaine intelligentsia se mettent à jouer pitoyablement leur propre rôle, on sait qu’on touche le fond.

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