Noël 2013 : Les conseils de la rédac’

LA SELECTION DE MATTHIEU RUARD

Les éditions DVD et Blu-ray des films de Peter Jackson sont toujours des objets précieux tant le cinéaste néozélandais prend à cœur d’en expliquer la fabrication. The Hobbit suit ainsi la même logique éditoriale que Le Seigneur Des Anneaux. Une première édition minimale sort ainsi en cours d’année et un coffret plus imposant quelques semaines avant le nouvel épisode. On passera bien volontiers sur les menues déceptions entourant ce premier opus entre un packaging basique (les luxueux digipacks ont été troqués pour un bête boîtier amaray) et une version longue offrant des apports bien moins significatifs que sur la précédente trilogie (de maigres rajouts provenant très sûrement du fait que The Hobbit se soit transformé d’un diptyque en une trilogie). Outre une facture technique de toute beauté (et ce même sans HFR), l’édition brille par le contenu de son interactivité. Sur deux blu-ray s’étalent plus de neuf heures de documentaires dans la droite lignée de ceux du Seigneur Des Anneaux (ces appendices sont logiquement numérotés sept et huit). Se dévoile ainsi sous nos yeux l’investissement de Jackson et de son équipe dans une imposante production aux multiples challenges. La fabrication d’un film est souvent définie comme une entreprise folle. Lorsque le film est démesuré, la folie l’est également. Tous les bonus mettent en avant l’ampleur de cette aventure humaine où chacun donnera de sa personne. Les intervenants témoignent d’un tournage dont l’inventivité est à la mesure de sa complexité et où le sens du détail prédomine. Si on regrettera que la pré-production dirigée par Guillermo Del Toro soit à peine évoquée, ce choix revendique la volonté de ces appendices à décortiquer avant tout la vision artistique de Jackson (jusque dans ses abcès d’excentricité). Ce genre de document si riche est trop rare pour passer à côté.


« Ce livre ne se veut rien d’autre qu’un bel objet permettant aux amateurs de se replonger dans l’univers de quelques-unes des figures majeures qui ont hanté leur imaginaire cinéphilique » Arnaud Bordas résume parfaitement son ouvrage dans la préface. Un bel objet ? Assurément qu’on prend plaisir à prendre en main cet ouvrage de taille respectable où la splendide iconographie nous renvoie à de délicieux frissons. De Chair Et De Sang est un ouvrage passionnant fait par un passionné pour les passionnés et dont le seul but est d’attiser cette passion. Difficile à cet effet de mettre le livre dans les mains d’un novice. S’il pourra y trouver des pistes d’exploration dans le genre, ça sera au prix de descriptions parfois très poussées du contenu des films en question (le spoiler s’affiche dès l’ouverture de la page dans le cas de Haute Tension). De même, les aficionados qui s’attendent à des analyses thématiques extrêmement détaillées en auront pour leurs frais et n’apprendront rien de neuf. Mais l’information n’est pas l’objectif recherché par le livre. Bordas pointe avec simplicité et pertinence pourquoi les personnages présentés ont marqué l’inconscient collectif. La lecture de ces pages donne une furieuse envie d’aller immédiatement revoir les longs-métrages où ils apparaissent. Là est tout l’intérêt de ce fort plaisant ouvrage, prestigieuse piqûre de rappel envers le pouvoir de fascination du septième art.


Satoshi Kon nous a quitté trop tôt mais son œuvre, elle, demeure. Du coup, difficile de ne pas s’enthousiasmer lorsque certains de ses anciens travaux arrivent enfin dans nos contrées. C’est le cas du manga Opus édité par IMHO en deux tomes. Kon y prend un canevas classique (un mangaka est projeté dans sa création) pour offrir une œuvre aussi jubilatoire que prodigieuse. Si l’écriture est brillante dans sa réflexion d’une rencontre entre le dieu-auteur et ses personnages, la fascination que procure le manga provient surtout de sa forme. Comme il le fera avec le cinéma (il signera son premier long-métrage Perfect Blue un an plus tard), Kon manipule en permanence les codes de son média. Il ne se contente pas ainsi de la simple mise en abyme mais adapte son découpage en fonction de la nature même de son sujet. Le résultat est une profusion de visions aussi ahurissantes que vertigineuses décuplant considérablement l’impact de son histoire. Cette compréhension profonde des mécanismes du support investit est bien la preuve du génie de l’artiste. Malheureusement, la série sera brutalement interrompue suite à l’arrêt du magazine Comic Guys. Par la suite, Kon se servira de cet événement comme conclusion à la série. Un choix qui peut paraître frustrant par rapport à l’histoire contée mais clôturant de manière extrêmement habile cet extraordinaire ouvrage.



LA SELECTION DE GUILLAUME LASVIGNE

Frustrant en revanche, Seraphim ‘266613336 Wings’ l’est assurément. La cause la plus évidente tient au fait que le manga est condamné à rester inachevé en l’état (Mamoru Oshii serait cependant en train d’adapter – et d’achever ? – le récit en roman). La mort de Satoshi Kon n’est cependant pas la source d’un tel statu quo dans la mesure où la collaboration entre les deux hommes s’est détériorée au fur et à mesure de l’évolution du manga, lequel a vu son dernier chapitre paraître dans les pages du magazine Animage fin 1995. Pas question pour autant de ne pas jouer les curieux. Car si de prime abord, Seraphim est essentiellement un pur produit Oshiien (le réalisateur de Millennium actress semble s’être chargé des quatre derniers chapitres tout seul), le manga bénéficie grandement de l’apport de Satoshi Kon aux dessins et découpage. La plus grande force de l’oeuvre réside donc dans la fusion de deux personnalités connues pour la précision diabolique apportée à leurs travaux. On ne s’étonnera donc pas de se passionner pour un scénario immédiatement rattachable aux obsessions d’Oshii et si riche en informations et influences qu’il fallait bien l’intelligence de Kon pour permettre au lecteur de l’appréhender. Bref, un objet indispensable pour avoir un point de vue toujours plus global sur l’oeuvre de ses deux immenses auteurs.


Vous n’êtes pas sans savoir que le dernier film en date estampillé Albator sort dans les salles françaises le 25 décembre prochain. Si l’envie vous prend, il vous reste donc deux semaines pour vous familiariser un tant soit peu avec la création de Leiji Matsumoto. Et cela tombe bien puisque Kana a sorti il y a quelques jours une réédition de l’intégrale de Capitaine Albator, le manga qui a fait connaître son personnage-titre en 1977. Si ceux que la lecture de ces mille pages effraie pourront toujours se rabattre sur la quarantaine d’épisodes d’Albator 78, l’adaptation animée du manga par Rintarō, la découverte de l’ouvrage permettra en revanche de suivre l’intrigue originelle (la production de l’anime aura fini par aller plus vite que l’écriture du manga), de même qu’elle invite inévitablement à faire connaissance avec le style visuel de son auteur. Un style que l’on retrouve dans Galaxy express 999, adaptation filmique des série et manga éponymes, et là aussi réalisée par Rintarō. Outre la brève présence d’Albator dans celui-ci, le (superbe) long-métrage est idéal pour apprendre à toujours mieux connaître les interrogations que Matsumoto peut se poser sur l’humanité. D’autant que le film bénéficie d’une édition DVD collector vieillissante mais totalement accessible aux profanes. Trois bonus se détachent des inutiles croquis ou fiches succinctes de personnages qui les côtoient : le commentaire audio (ne rêvez pas, il n’est pas de Rintarō mais de trois intervenants spécialistes du Leijiverse), un docu d’une quarantaine de minutes abordant le film d’une manière relativement exhaustive (historique de tournage, contextualisation, analyses, comparaison aux mythes, les produits dérivés…) et un livret pour le moins passionnant. Outre un long retour sur le film et ses thématiques, se rajoutent de jolis portraits de Leiji Matsumoto et de Rintarō, nous en apprenant toujours plus sur Albator et les nombreuses œuvres dans lesquelles il a pu apparaître. Bref, de quoi acquérir des connaissances suffisamment solides pour cerner le film à venir à la mesure de ce qu’il peut représenter.

LA SELECTION DE GUILLAUME GAS

Décédé il y a déjà cinq ans, Alain Robbe-Grillet fut pendant toute sa carrière un cas à part dans l’histoire du cinéma français : pape du Nouveau Roman, scénariste du plus beau film d’Alain Resnais (L’année dernière à Marienbad) et inventeur de nouvelles formes de grammaires narratives qu’il s’empressa d’injecter dans le 7ème Art, cet artiste unique fut longtemps incompris, vilipendé par une large partie de la critique (il fut longtemps taxé de « Bénazéraf intello » par les Cahiers du Cinéma) et adoré par une poignée de fans fidèles. Le sublime coffret concocté par Carlotta n’est pas seulement l’occasion de revenir en détail sur l’œuvre fascinante du cinéaste, mais s’impose carrément comme le plus bel objet DVD de l’année. De L’immortelle à Gradiva, chaque film aura évidemment subi une remasterisation numérique des plus précises, sublimant pour le coup ces innombrables errances filmiques entre mystères et faux-semblants. Mais ce sont néanmoins les bonus qui contribuent à redonner à ses films la grandeur qu’ils n’avaient peut-être jamais obtenu : grâce à de très éclairantes présentations de Catherine Robbe-Grillet et des entretiens riches en infos inédites (menés par le journaliste Frédéric Taddeï, fan du cinéaste), la filmo de Robbe-Grillet devient soudain d’une absolue limpidité si l’on opte pour le visionnage chronologique, imposant sur la longueur une cohérence totale, une rare liberté de ton et une richesse métatextuelle plus que fascinante, où la patte de son cinéaste (qui n’a d’ailleurs jamais caché ses penchants pour le sadomasochisme) se mêle sans cesse à l’onirisme des plus grands noms du cinéma d’auteur, Jean Cocteau et David Lynch en tête. Les friands d’expériences ciné seront au 7ème Ciel : les audaces narratives et conceptuelles de Robbe-Grillet n’ont rien perdu de leur impact, et en deviennent même infiniment plus troublantes et excitantes qu’avant. Achat indispensable !



Chaque année, les ressorties pullulent pour redonner leur chance à de nombreux films un peu oubliés, mais 2013 aura sans doute été la plus marquante depuis un très long moment. Dès sa redécouverte en version restaurée (et intégrale !) lors du Festival Lumière 2012, le verdict était clair à propos du monument maudit de Michael Cimino : La Porte du Paradis allait subir la plus belle des résurrections lors de sa ressortie. Ce fut presque un euphémisme, tant ce chef-d’œuvre absolu déroule tant de beauté et de richesse sur presque quatre heures de visionnage qui passent à une vitesse sidérante. Là encore, Carlotta a mis les petits plats dans les (très) grands pour offrir au film un écrin numérique digne de ce nom : le coffret proposé, intégrant le film en version DVD et Blu-Ray (avec image et son au-delà de la perfection), propose une vaste quantité d’archives et de bonus, allant du simple entretien mémoriel au traditionnel module sur la restauration HD, sans compter un grand nombre d’objets collector (BO du film, dossier de presse, journal de bord de Cimino, réflexions du journaliste Jean-Baptiste Thoret, etc…). Mais, on s’y attendait un peu, le plat de résistance reste le long entretien de Michael Cimino par Michael Henri Wilson (auteur d’un livre sur Clint Eastwood) : durant presque une heure, le réalisateur revient moins sur le film en lui-même que sur sa propre conception du cinéma, détaille ses aspirations artistiques de l’époque, en profite aussi pour rétablir la vérité sur certaines idées préconçues autour de son style, et se livre même à quelques réflexions sur l’état de la société américaine. Un constat tragique en émerge : sans être réellement un film politique, La Porte du Paradis révélait une page sombre de l’Amérique, et ce fut hélas le détail de trop. Aujourd’hui, l’affront est lavé : Cimino est sorti victorieux. Son film, immortel, a gagné la place qu’il aurait toujours dû avoir.


Décidément, c’est la fête à Carlotta. On s’excuse de devoir encore privilégier cet éditeur aux autres, mais quand la qualité est là, inutile de se priver. Autre cinéaste revenu en forme cette année-là : le grand Robert Aldrich, auteur de deux fabuleuses pépites sur lesquelles les projecteurs se seront braqués cette année. D’abord le cultissime En quatrième vitesse, fleuron du film noir paranoïaque, rempli de vamps et de cadavres, et dont le scénario, mystérieux et mené sans aucun temps mort, culmine en un épilogue apocalyptique qui s’incruste à jamais dans l’esprit du cinéphile. Un film à l’image de cette fameuse boîte de Pandore, renfermant ici un terrible secret qui illumine celui qui tente de l’ouvrir (tiens, ça ne vous rappelle pas un film de Tarantino, par hasard ?) et qui fait l’effet d’une déflagration soudaine. L’analyse de Philippe Rouyer, présente sur le Blu-Ray, offre d’ailleurs un éclairage intéressant sur la mise en scène du film et l’élaboration du montage… Ensuite L’ultimatum des trois mercenaires, film longtemps dénigré comme mineur suite à son échec américain et amputé d’une heure pour la distribution en Europe. Rien d’étonnant au vu de son pitch (trois mercenaires menacent de lancer des missiles si le gouvernement ne divulgue pas au peuple américain un document explosif sur l’engagement au Vietnam), tant Aldrich y fait preuve d’une virulence rare : le Président y est manipulé par une horde de stratèges cyniques (dont un, particulièrement odieux, joué par Richard Widmark), et les décisions politiques ne sont que des leurres dissimulant un vaste océan de magouilles en tous genres. Critique totale d’une nation corrompue, reflet d’un chaos général qu’Aldrich symbolise ici par un usage virtuose du split-screen et une tension permanente dans l’action comme dans le dialogue. Un monument aujourd’hui présenté par Carlotta dans sa version intégrale et nanti d’un fascinant documentaire sur la création du film… Vous l’aurez compris : ces deux pépites sont inratables !



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