Ratatouille

REALISATION : Brad Bird, Jan Pinkava
PRODUCTION : Pixar Animation Studios
AVEC : Patton Oswalt, Ian Holm, Lou Romano, Peter Sohn
SCENARIO : Brad Bird, Jan Pinkava, Jim Capobianco, Emily Cook, Kathy Greenberg, Bob Peterson
MONTAGE : Darren T. Holmes
BANDE ORIGINALE : Michael Giacchino
ORIGINE : Etats-Unis
GENRE : aventure, comédie
DATE DE SORTIE : 1er aout 2007
DUREE : 1H51
BANDE-ANNONCE

Synopsis : Rémy est un jeune rat qui rêve de devenir un grand chef français. Ni l’opposition de sa famille, ni le fait d’être un rongeur dans une profession qui les déteste ne le démotivent. Rémy est prêt à tout pour vivre sa passion de la cuisine… et le fait d’habiter dans les égouts du restaurant ultra côté de la star des fourneaux, Auguste Gusteau, va lui en donner l’occasion ! Malgré le danger et les pièges, la tentation est grande de s’aventurer dans cet univers interdit. Écartelé entre son rêve et sa condition, Rémy va découvrir le vrai sens de l’aventure, de l’amitié, de la famille… et comprendre qu’il doit trouver le courage d’être ce qu’il est : un rat qui veut être un grand chef…

Souvent dissociés, les films en prise de vue réel et les films d’animation reposent pourtant sur la même utilisation de la grammaire cinématographique. A travers l’analyse de la première séquence dans la cuisine, nous allons voir comment Brad Bird utilise tous les outils de mise en scène pour raconter son histoire.

Afin de faire fonctionner leur diégèse, les films du studio Pixar misent souvent sur l’état émotionnel de leurs personnages. Qu’importent leurs origines ou leurs natures, ce qu’ils ressentent et ce qu’ils désirent est ce qui compte avant tout. C’est ce qui va nous attacher à eux et nous pousser à les accompagner dans leurs périples. C’est ce que gardera en tête Brad Bird lorsqu’il arrive à la réalisation de Ratatouille en 2005. Le projet était en développement depuis plusieurs années sous la houlette de Jan Pinkava. Voulant exprimer une sensibilité plus européenne, la production n’avance pas et peine à faire marcher l’histoire. On reproche au scénario d’inclure trop de personnages et de sous-intrigues, et la mission de Bird est de remettre de l’ordre là-dedans. De l’aveu de Pinkava, les fondations de l’histoire n’auront pas bougé entre les prémisses de l’entreprise et le long-métrage terminé. C’est bien toute la manière de la raconter qui va être revue et corrigée par Bird et son équipe. Un exemple de sa conception de la narration se trouve dans les scènes coupées proposées sur le dvd. Dans l’une d’elles, on découvre un plan-séquence qui devait de toute évidence ouvrir le film. La scène commençait par une vue de Paris ; la caméra descendait jusqu’au restaurant de Gusteau, pénétrait à l’intérieur, se faufilait en cuisine puis s’achevait avec Rémy en contemplation devant celle-ci. Expliquant le retrait de ce plan, Brad Bird anticipe la pensée du spectateur. Oui, ce plan est impressionnant mais il n’est pas pour autant viable narrativement. Avec sa caméra omnisciente, le plan ne transmet qu’une représentation factuelle du monde. Elle ne correspond pas à un véritable point de vue et n’a en conséquence aucune motivation émotionnelle. En réimaginant complètement le premier contact de Remy avec la cuisine d’Auguste Gusteau, c’est ce qu’il va faire prévaloir. Le regard, la passion, les contraintes… Autant d’éléments nous ramenant à la question fondamentale du film : quelle est ma place en ce monde ?

Mais revenons un peu en amont ! Rémy est un rat qui ne se satisfait pas de ce que sa société animalière attend de lui. Se contenter de voler des ordures pour vivre ne ravit pas ses sens aiguisés et il désire autre chose. En l’occurrence, il veut être chef cuisinier. Sauf qu’évidemment, la réputation de nuisible entourant sa race ne lui offre pas l’opportunité d’investir le domaine de la cuisine. C’est ce que les premiers instants du film posent en le montrant être éjecté avec fracas de la cuisine par une fenêtre. Bref, Rémy ne semble être à sa place nulle part. Cette interrogation de se positionner dans le monde va devenir un point déterminant de la mise en scène. Elle va guider l’évolution du personnage. Dès la fin de l’introduction, le film en fait la démonstration. Séparé de sa famille suite au départ précipité vers la ville, Rémy débute son aventure plus bas que terre ; littéralement plus bas que terre puisqu’il se retrouve au fond d’un égout, seul et affamé. Un livre de cuisine lui tient compagnie et c’est grâce à cet outil qui porte sa passion qu’il va pouvoir se relever. Sa conscience se manifeste sous la forme de son maître à penser, le chef Auguste Gusteau. Sous son impulsion, Rémy s’extrait de l’égout et commence son ascension vers l’extérieur. Désireux de bien faire comprendre le sens de cette élévation, Brad Bird incorpore une micro-péripétie en cours de route. Alors qu’il s’apprête à voler un morceau de pain pour se nourrir, sa conscience le ramène à ce qu’il n’arrêtait pas de revendiquer au début du film : il ne veut pas se limiter au rôle de rat que lui dicte la société. Rémy se doit de respecter ses ambitions et de chercher plus. Il lui faut donc poursuivre sa montée et élever encore plus haut son esprit. Ainsi achève-t-il sa grimpée sur les toits de Paris, surplombant le paysage et contemplant tout le champ des possibles. Et son possible s’impose rapidement comme le restaurant de Gusteau.

Après une classique présentation de l’intérieur et de ses personnages dont le fraîchement débarqué Linguini, le film se reconcentre sur Rémy. La transition se passe en douceur par un plan en plongée qui recule pour révéler le point de vue de notre héros (image 1). Tout le début de la séquence va se structurer en champ-contrechamp avec cette alternance entre plan en plongée sur la cuisine (image 2) et contre-plongée sur Rémy (image 3). Du haut de son perchoir, celui-ci examine l’organisation de la cuisine et sa conscience le pousse à étaler tout son savoir sur le sujet. Remy se complait dans ses compétences purement théoriques. La contre-plongée le place dans une position de force confortable. Dans ces plans, le cadre est resserré sur sa personne alors que les humains vaquant à leurs occupations sont filmés en hauteur et réduits à de modestes figures. Ces plans en contre-plongée sont des vues subjectives de Remy et son regard glisse sereinement d’un élément à l’autre. On y voit toute sa confiance quant à ses connaissances. Toutefois, il n’est pas omis de préciser l’incompatibilité du monde de Rémy et celui de la cuisine. Tous les plans sont donc filmés à travers la fenêtre qui marque la séparation des deux mondes. Pour appuyer la présence de cette barrière, Bird et son équipe ont mis dessus un grillage qui remplit d’ailleurs une fonction supplémentaire. Au-delà d’emprisonner Rémy à l’extérieur de la cuisine lors des plans en contre-plongée, il ajoute à l’aspect parfaitement agencé de la cuisine dans les plans en plongée. On note en effet que le grillage reste parallèle avec le carrelage, renforçant la perfection géométrique de l’environnement et son extrême méthodisme.

Les choses évoluent néanmoins lorsque la conscience de Remy le mène à considérer le cas de Linguini. Il le fait avec un profond dédain, le jugeant comme un futile plongeur incapable de cuisiner. Bird insère un plan sur Remy et Gusteau sans la séparation de la fenêtre et brisant légèrement la contre-plongée (image 4). Une façon de rappeler que Rémy est mal placé pour proférer une telle opinion, ce que l’emballement des évènements à suivre va démontrer. Bird abandonne à cette occasion la vue subjective lors des plans en plongée en réunissant Remy, Gusteau et Linguini dans le même cadre (image 5). Cela lui permet de faire un zoom quand Remy constate que Linguini trafique la soupe suite à une maladresse. Après cet effet dramatique, Bird opère un plan en extérieur changeant totalement l’axe de caméra utilisé jusqu’à présent (image 6). Le plan plus large révèle à quel point, tout érudit qu’il est, Remy demeure un rat petit et impuissant. Comme le zoom l’appelait à aller au plus près de la catastrophe, Rémy s’approche de l’ouverture de la fenêtre. La séparation du grillage est définitivement abolie et son destin peut alors basculer (image 7).

Comme pour souligner l’inévitabilité de ce basculement, Bird traite la chute en trois plans reprenant la structure précédemment posée. Un plan en contre-plongée (image 8), un plan en plongée (image 9) et un plan de côté rompant l’axe (image 10). L’enchaînement montre l’absence d’échappatoire de Remy qui va devoir passer d’un champ théorique à celui de la pratique.

S’ensuit un plan de « respiration » lorsque Remy atterrit dans l’eau du lavabo (image 11), petit moment de suspension où la musique s’atténue pour nous permettre d’assimiler la nouvelle situation et de laisser notre esprit s’emballer. Le danger de l’environnement s’affirme dans les deux plans suivants. Remontant à la surface, Remy doit trouver son équilibre sur un ustensile (image 12). Mais l’approche d’un cuisinier l’oblige à replonger sous l’eau. La menace est donc double : venant autant de la pièce que de ses occupants, ce qui se recoupe ensuite dans un plan en contre-plongée. Présentant jusqu’ici le personnage comme un dominant, il le met désormais dans un état de faiblesse. Sous l’eau, il ne voit plus le cuisinier comme un petit pion mais comme un titan monstrueux (image 13). Il ne peut pour autant pas se laisser noyer et commence ainsi une cavalcade.

S’extirpant de l’évier, Rémy tombe encore un peu plus bas. Il est cadré au centre de l’image et le mouvement en plongée renforce l’idée que sa fuite peut se faire dans n’importe quelle direction (image 14). Cependant, Remy est dans un tel état de panique qu’il se soucie peu de la direction dans laquelle il cavale. Au cours de sa carrière, Bird a constamment fait preuve de rigueur dans la construction géographique de ses séquences et la disposition de chaque élément. Pourtant, cette donnée est très fragmentaire dans le cas présent. Cela est cohérent par rapport au point de vue de Rémy. S’il a exprimé à distance une maîtrise dans l’organisation de la cuisine, il ne voit plus qu’un environnement de danger lorsqu’il y prend pied. La théorie s’efface devant la pratique et cela se traduit par une sérieuse désorientation, ce que le découpage cultive. Au moment où Rémy court, la caméra abandonne son côté paisible et les mouvements deviennent plus véloces pour se mettre en accord avec l’anxiété qu’on lit sur son visage (image 15). Il se dirige à la gauche du cadre mais la caméra panote et lui montre une irruption de flamme qui lui fait prendre peur (image 16). Là encore, on note le changement de valeur dans la contre-plongée. Bien que toujours au premier plan, Rémy est maintenant dominé par les humains. Bird amplifie l’idée dans un contre-champ débutant par une vue en plongée écrasant le personnage autant que l’éruption de couleur orange (image 17). Cela enclenche son déplacement contraire vers la droite du cadre. Bird choisit ce moment pour nous déboussoler.

Alors que Remy regarde derrière lui, Bird brise la règle des 180 degrés et donne le sentiment que le personnage se dirige à nouveau vers la gauche (image 18 & 19). La perte de repère est d’autant plus instantanée que le surgissement d’un cuisiner (image 20 & 21) puis l’ouverture d’une porte (image 22) renvoient d’un coup Rémy vers la droite du cadre.

Ironiquement, Bird incorpore un plan qui devrait nous repositionner dans l’espace mais qui se révèle sans valeur. Remy est au milieu du cadre et on voit vers quelle direction il se dirige (image 23), mais le plan n’offre pas plus d’informations sur son emplacement et ses possibilités d’évasion. Finalement, le personnage n’aura fait que tourner en rond mais la compréhension de ce mouvement en spirale importe peu ici. Ce qui compte est le sentiment de Rémy vis-à-vis de ce mouvement et il se résume simplement dans ses faibles chances de survivre longtemps à ce traitement. L’action se termine par un plan en plongée nous donnant une vue d’ensemble sur la glissade de Rémy (image 24). Par rapport à ce qui été dit plus tôt, celui-ci fait surtout office de ponctuation pour remettre en avant que Remy n’a pas sa place dans l’univers géométrique de la cuisine.

Remy comprend que la solution ne se trouvera pas dans l’affolement. Il se calme donc quelques secondes (image 25), ce qui lui permet d’identifier une issue. Comme antérieurement, la vue subjective et le zoom montrent que toutes ses pensées se projettent vers cet objectif (image 26). Celui-ci lui apporte de la confiance et il se lance cette fois-ci avec précaution dans la traversée. Mais l’entrée dans le champ d’une chaussure lui coupe la route et compromet tous ses plans (image 27). En dépit de ce qu’il veut, la cuisine suit son propre rythme. Qu’il pratique un tempo rapide ou lent, cela ne change rien au fait que Rémy ne s’y accorde absolument pas. L’allumage du four le propulse ainsi dans la direction opposée (image 28).

Afin de signifier une panique mieux contrôlée, Bird filme la nouvelle galopade de Rémy selon un angle latéral (image 29). Même s’il se déplace en vitesse, le réalisateur souligne que Rémy essaie d’être plus attentif à l’environnement, ce qui introduit son regain de courage dans le plan suivant. Alors que sa route est coupée par un chariot (image 30), il met de côté sa peur et prend l’initiative de se glisser en dessous (image 31). Remy choisit de ne pas aller à l’encontre du mouvement de la cuisine mais à l’inverse d’en tirer partie. Le résultat est une réussite puisqu’il se rapproche énormément de la fenêtre (image 32).

Le sentiment de victoire est renforcé par le choix de ne faire qu’un plan très fluide entre le moment où Rémy saisit sa chance en s’infiltrant sous le chariot et son accès aux étagères lui offrant un peu de sécurité. Cette fluidité est maintenue dans les plans suivants (image 33 à 36) jusqu’à ce que Rémy soit juste à côté de la fenêtre… et rattrapé par la mécanique de la cuisine.

La désillusion passe par un champ-contrechamp alternant autant les points de vue que leurs dimensions. Tombé au fond d’une casserole, Rémy voit l’issue s’éloigner de lui (image 37). Le contrechamp sur le cuisinier transportant l’ustensile nous donne une vision plus large de la pièce (image 38). De nouveau, Rémy, apparaît fort petit dans cette gigantesque organisation et il n’est pas au bout de ses peines.

Après avoir réévalué la distance à parcourir (image 39), Remy saute précipitamment dans un plat. Distrait par la senteur des ingrédients (image 40), il ne perçoit pas que le plat est prêt à être enfourné. Tout comme il s’est jeté dans le plat pour ne pas être remarqué, il s’inquiète dans le plan suivant de la présence du cuisinier sans véritablement saisir l’action que celui-ci accomplit (image 41). Afin de rappeler que la cuisine impose son mouvement à Rémy, la caméra est accrochée au plat qui entre dans le four (image 42).

La suite joue alors sur la lutte entre Rémy et les forces de la cuisine. Dès que le plat est mis au four, Remy reprend en quelque sorte le contrôle du mouvement et tout logiquement la caméra le suit (image 43). Embarqué à bord du chariot à fromage (image 44), la caméra conserve son point de vue quand il passe à proximité de la fenêtre (image 45). Son regard reste fixé sur cette sortie dont il s’écarte faute de pouvoir empêcher le mouvement du chariot. Une nouvelle fois, l’insertion d’un contrechamp plus distancé permet de présenter le personnage dans toute son impuissance (image 46). Bird peut passer sur son visage désespéré quand il entre dans un territoire inédit : la salle de réception.

Plutôt que de réitérer son jeu d’échelles par rapport à cette nouvelle ambiance, Bird va se reposer sur la musique de son fidèle collaborateur Michael Giacchino. Alors que la musique orchestrale extra-diégétique portait la séquence, la musique devient intra-diégétique. La reprise du thème principal assure la continuité mais son instrumentalisation épurée rompt avec l’énergie déployée jusqu’alors et crée une gêne. Ce qui est logique de par la double perception de la salle pour Rémy. C’est un environnement plus peuplé, plus exposé et donc plus dangereux à la fois au regard de sa condition de rat et son ambition de chef (image 47). Instinct de survie et rêves gastronomiques le motivent à se détourner de ce lieu où il n’a rien à faire. Le crochet dure d’ailleurs un battement de cil, Rémy profitant de la valse de la restauration pour revenir illico dans la cuisine (image 48). Si Bird s’attache tout le long de la séquence à suivre le point de vue de Rémy, il se permet une petite entorse en insérant un plan sur un serveur qui était à deux doigts de la débusquer (image 49 & 50). Il souligne à quel point le danger est plus près que jamais dans ce lieu à éviter. On peut aussi y voir une manière de jouer sur les attentes du spectateur, ce passage ayant servi au teaser mais avec une conclusion très différente.

Ici, nous retournons dans la cuisine (image 51). De nouveau, la vue latérale sur Rémy accentue son attention sur l’environnement et il se réfugie en conséquence avec aisance dans la zone près de la fenêtre (image 52). Il se produit alors un évènement qui le relègue au rang de spectateur : un cuisinier ferme la fenêtre qui était sa seule issue (image 53). Puis Linguini arrive, goutte à sa soupe trafiquée et rouvre la fenêtre pour tout recracher dehors (image 54). La péripétie semble juste ajouter une dose anodine de suspense à la séquence, mais elle n’a en fait rien d’accessoire. Elle participe au contraire à la caractérisation de Linguini et de sa future relation avec Rémy. Linguini est responsable de la situation périlleuse dans laquelle se trouve Rémy et ironiquement il lui apporte à cet instant la solution. Comment a-t-il fait tout ça ? En parasitant la mécanique de la cuisine, signifiant son statut de pièce rapportée qui n’est pas à sa place. Mais nous y reviendrons plus tard. Pour l’heure, Rémy galope vers la liberté.

Notre héros reprend confiance en lui, ce qui se traduit par un plan en plongée où il se rapproche de la caméra qui se redresse dans le même temps (image 55 & 56). La délivrance est proche. Le personnage est soulagé. Le plan suivant l’accompagne sur une courte ligne droite dégagée de toute présence humaine (image 57). Rien ne peut l’arrêter.

Sauf que là encore, il prend conscience de l’environnement comme l’évoque l’usage d’une vue latérale. L’odeur de la soupe agresse son odorat, débouchant sur une expression de dégout cartoonesque (image 58). Il ne peut décemment pas laisser un tel plat en l’état malgré l’urgence de la situation. Le partage de la raison et de la passion s’illustre par ces incessants mouvements panoramiques de gauche à droite (image 59 & 60). On note que le personnage se déplace sur ses deux pattes et non plus quatre comme depuis le début de la scène. Cela établit l’évolution de sa pensée, quittant l’instinct du rat pour ses ambitions personnelles.

Sautant vers la fenêtre, on le voit satisfait. Centré et en gros plan (image 61), il redevient lui-même et il jette un regard en arrière en caressant ses rêves (image 62). On ne s’étonne pas de voir réapparaître Gusteau. Alors qu’il était tout à l’heure à sa droite le poussant vers la cuisine, il fait de même en surgissant sa gauche (image 63). Bird utilise ainsi bien Gusteau dans sa fonction de conscience chargée d’encadrer le personnage dans ce qu’il veut être.

C’est une nouvelle dynamique qui peut se déployer dans cette dernière section de la scène. Finit donc les longs mouvements de caméra agitée. Celle-ci est plus posée et sera désormais agrémentée de légers mouvements montrant l’activité contrôlée de Rémy. Isolé du monde, il profite de chaque composant de la cuisine pour refaire la soupe. Chaque action est décomposée par un plan dénotant la précision de sa pensée (image 64 à 67). Quand bien même les mouvements de caméra alternent la gauche et la droite, le rythme n’a rien de désordonné et appuie à l’opposé que Remy maîtrise tout.

L’apothéose est un plan en plongée sur la marmite avec un hypnotique mouvement circulaire (image 68). Toute l’attention de Rémy est aspirée dans la concrétisation de sa vocation. Il en oublie le monde extérieur qui s’obscurcit petit à petit… jusqu’à se rallumer lorsque Linguini le surprend (image 69). Les deux personnages principaux sont présenté comme égaux en occupant chacun une moitié équivalente du cadre. Mais cet équilibre est brisé par le contrechamp rappelant que Rémy est un être incongru dans une cuisine (image 70).

Des hauteurs sécurisantes de la théorie aux plus bas exercice manuel, Rémy conclut la séquence en trouvant son équilibre entre les deux. Pendant une brève période, il a pu éprouver toute la joie d’être lui-même. Le reste du film sera une quête pour renouer avec cet instant d’accomplissement. Avec l’aide de Linguini, il croira pouvoir le faire par un stratagème qui le fera agir dans l’ombre. Or comment pourrait-il être lui-même s’il doit précisément se cacher ? La cuisine est le lieu où il peut pleinement s’épanouir mais ça ne peut être le cas que s’il y pénètre comme tel. Le mensonge n’octroie aucune satisfaction, aussi bien à Rémy qu’à Linguini. Dès son premier plan, Linguini se montrera mal à l’aise dans la cuisine qui lui met littéralement les nerfs à vif. C’est en mettant de côté un rôle qui n’est pas le sien qu’il pourra prouver ses capacités en investissant le domaine de la salle de réception. Il en va de même pour Rémy. Il ne pourra certes pas convaincre le monde entier de sa légitimité. Mais en assumant qui il est, il trouvera sa place sous les cieux.

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