E.T L’Extra-Terrestre

REALISATION : Steven Spielberg
PRODUCTION : Universal Pictures, Amblin Entertainment
AVEC : Henry Thomas, Dee Wallace, Peter Coyote, Robert MacNaughton, Drew Barrymore
SCENARIO : Melissa Mathison
PHOTOGRAPHIE : Allen Daviau
MONTAGE : Carol Littleton
BANDE ORIGINALE : John Williams
TITRE ORIGINAL : E.T. The Extra-Terrestrial
ORIGINE : Etats-Unis
GENRE : Science-fiction, Enfance
ANNEE DE SORTIE : 1er décembre 1982
DUREE : 2h00
BANDE-ANNONCE

Synopsis : Une soucoupe volante atterrit en pleine nuit près de Los Angeles. Quelques extraterrestres, envoyés sur Terre en mission d’exploration botanique, sortent de l’engin, mais un des leurs s’aventure au-delà de la clairière où se trouve la navette. Celui-ci se dirige alors vers la ville. C’est sa première découverte de la civilisation humaine. Bientôt traquée par des militaires et abandonnée par les siens, cette petite créature apeurée se nommant E.T. se réfugie dans une résidence de banlieue…

Dans une scène de The barber, l’avocat interprété par Tony Shalhoub se lance dans un monologue où il décrit la stratégie qu’il va mettre en œuvre pour obtenir l’acquittement de sa cliente. Il se base sur la théorie d’un allemand, un certain Fritz ou Werner selon ses dires. Il déclare ainsi que l’explication scientifique d’un phénomène doit passer par l’observation mais que le seul fait d’observer peut modifier la réalité de ce qui s’est passé. Par conséquent, plus on regarde quelque chose moins on en sait car on ignore alors ce qui se serait véritablement passé si on y avait pas jeté un œil. Cette drôle d’idée comme il le qualifie se nomme le principe d’incertitude, théorie élaboré par le physicien Werner Karl Heisenberg dans les années 20. Le fait que les frères Coen aient inclus cette citation dans leur film est fort intéressant puisque son exploitation dans le domaine du septième art est aguicheuse. En la matière, il y a d’ailleurs quelqu’un qui a fait une brillante remarque sur le sujet : il s’agit du réalisateur William Friedkin, maître ès ambiguïté. A l’occasion d’une discussion avec l’écrivain William Peter Blatty (auteur du roman L’exorciste qu’il a adapté pour l’écran), les deux bonhommes opposent leurs conceptions différentes de l’histoire. Blatty se désespère ainsi que tout le monde trouve le film désespérant alors qu’il a voulu faire au contraire une oeuvre positive. A l’inverse, Friedkin s’enthousiasme pour cet accueil public qui verra quelque chose de noir dans une histoire relatant le triomphe du bien contre le mal. Friedkin lâche alors cette vérité : le spectateur voit dans un film ce qu’il va y apporter. Autrement dit, il verra (inconsciemment ou pas) ce qu’il a bien envie de voir. L’observation d’un film influerait ainsi la réalité de ce dernier. On rejoint là le principe d’incertitude (ou d’indétermination selon les sources) d’Heisenberg.

Cette influence de la perception sur la réalité de l’objet pourrait apparaître d’autant plus véridique depuis que la technologie nous offre l’opportunité de pouvoir voir et revoir à foison nos long-métrages préférés. Sixième long-métrages de Steven Spielberg (septième si l’on inclut le téléfilm Duel), E.T est un cas emblématique de cette catégorie de films dont la VHS a été usée jusqu’à la moelle suite à des révisions intempestives et qui bénéficie approximativement d’une diffusion quasi-annuelle sur les chaînes publiques (désormais exclusivement dans une version remastérisée sur laquelle nous reviendrons). C’est typiquement le genre de film qui a été vu, vu et revu jusqu’à ce que l’on en acquiert de parfaits automatismes. Chaque plan, chaque mouvement des acteurs, chaque réplique, chaque rebondissement est connu et anticipé. A force de le visionner, on pense donc connaître par cœur le film alors qu’au bout du compte, c’est très loin d’en être le cas. Tout ce que nous avons est une vision abstraite de l’objet. Le plaisir procuré n’est plus tant engendré par le film en lui-même que par les réflexes pavloviens qu’il déclenche. A trop le regarder, il est devenu un objet indéterminé dont on a finalement perdu le sens.

Si on demande à quelqu’un ce qu’il pense d’E.T, il répondra probablement qu’il s’agit là d’une œuvre magnifique et émouvante mais d’une grande naïveté. A la manière du désespéré A.I qui se retrouvera hâtivement classé comme film pour marmots, il est curieux que E.T soit considéré comme un long-métrage naïf alors qu’il possède en substance un portrait assez déstabilisant de l’humanité. Rafik Djoumi avait noté le phénomène en mentionnant comment devant les films de Spielberg, les spectateurs lambda se mettent dans un état de “crétinerie volontaire”. Et donc au dit spectateur de s’émerveiller devant la relation qui se tisse entre un enfant et son copain intersidéral alors que le film contient des scènes tout à fait dérangeantes. Une affaire de perception ? Très certainement. En même temps, Spielberg a mis un point d’honneur durant sa carrière pour réussir à endormir les soupçons de son audience. En premier lieu, par l’identification naturellement. De Duel à La guerre des mondes, Spielberg a continuellement mit en scène des personnages ordinaires plongés dans des situations extraordinaires. Par conséquent, on se retrouve dans ces hommes de quotidien qui pourrait tout à fait être nous-même. Mais en acceptant la possibilité que ces personnages soient nos homologues à l’écran, nous acceptons également le monde dit réel qui les entoure. On l’accepte même trop facilement. On ne se préoccupe plus de cet univers du quotidien que l’on ne connaît que trop bien pour se concentrer uniquement sur l’élément extraordinaire qui s’y invite (camion psychopathe, requin tueur, extraterrestres et on en passe). Comme tout grand cinéaste, Spielberg manipule notre perception au travers de ce qu’il choisit de nous montrer. Il arrive à nous faire omettre les mécanismes souvent terrifiants régissant ce monde réel qui est finalement le notre. Il travaille sur notre inconscient et pousse celui qui veut comprendre son travail à déconstruire sa perception même du monde.

Il y a une courte mais magnifique scène dans E.T qui cherche à démontrer à quel point notre monde est désenchanté. Alors qu’Elliot est sorti jouer à téléphone maison avec son nouveau copain, sa mère désespère seule à la maison et s’inquiète de ne pas voir sa progéniture revenir. Dans sa détresse, elle essaie d’éteindre une bougie en plaquant une baguette magique en plastique dessus. Il lui faudra de nombreuses tentatives pour réussir à étouffer la flamme. Dans notre réalité, il n’y a donc pas de magie mais juste une profonde tristesse quant à l’avenir. De ce fait, juge-t-on souvent assez la menace présentée tout le long du film ? Jamais illustrés autrement que par d’iconiques silhouettes inquiétantes, les adultes synthétisent une certaine forme de folie de notre société. Dans la scène d’ouverture, les adultes courent après un mystère qu’ils n’arrivent pas à comprendre. Ils en sont fascinés et veulent à tout prix en connaître le fin mot même si la moralité passe au second plan (la banlieue où se situe l’action est mise sous surveillance et chaque conversation est épiée). En soit, ils n’ont aucune conscience sur les actes qu’ils commettent. Ils agissent animés par leur instinct mais ne perçoivent plus la finalité de celui-ci. La manière dont le personnage interprété par Peter Coyote est illustré pendant les trois-quarts du film pourrait résumer cette idée. Spielberg choisit de caractériser le personnage par un trousseau de clefs. A quoi servent-elles ? Nous n’en saurons jamais rien. Ces clefs n’ont aucune utilité alors qu’elles devraient pouvoir ouvrir des portes et symboliquement permettre de changer ses perspectives. De perspective, les adultes ne semblent plus en avoir. La raison de leur engouement pourrait pourtant apparaître clair : ils veulent rentrer en contact. Mais ils ne savent pas (ou plus) comment faire. C’est ainsi que dès l’introduction, ils effraient leurs invités intergalactiques en partant sans ménagement à leur poursuite. Spielberg met d’ailleurs en place un amusant renversement de valeur ici : la séquence d’ouverture dévoilant l’arrivée des extraterrestres se déroule de manière paisible et contemplative. Ces créatures semblent en accord avec la nature (ils sont d’ailleurs eux-mêmes des êtres végétaux) et une parfaite harmonie semble régner.

Par contre, lorsque les adultes pénètrent dans la maison d’Elliot, on aura droit à une vraie scène d’invasion avec des cosmonautes s’infiltrant par tous les accès en laissant percer d’aveuglants et menaçants faisceaux de lumière. On est bien loin de l’attirante lumière sortant de la cabane à jardin lors du premier contact entre Elliot et E.T. Si il y a un animal envahissant et potentiellement dangereux dans le film, ça n’est pas celui qui vient d’ailleurs. Ça serait plutôt celui qui est dénué de conscience. Le constat ne s’améliore pas par la suite. Ayant enfin mis la main sur le mystère tant convoité, les adultes ne trouvent rien de mieux à faire que de l’analyser dans tous les sens. Ils vont s’enthousiasmer en découvrant que leur cobaye spatial à de l’ADN et tomber des nues deux secondes plus tard lorsque celui-ci va se mettre à parler. C’est là tout le drame de ces adultes qui n’arrivent tellement plus à comprendre leurs émotions qu’ils en ont complètement oublié d’essayer de communiquer avec leur intervenant. Ils n’ont plus l’innocence d’Elliot et se contentent de gestes pratiques. Spielberg donnera le coup de grâce par la suite : E.T meurt et devant leurs impuissances, les adultes enlèvent leurs masques afin de dévoiler pour la première fois un visage humain. Sonne alors une évidence. Spielberg a fait en sorte que nous nous identifions à Elliot et sa famille durant tout le film. Cela passe bien sûr par cette éviction des figures adultes (si ce n’est celle maternelle naturellement rassurante) et également par une mise en scène à hauteur de ses interprètes juvéniles. Mais avec cette scène, le spectateur doit comprendre une chose. Si devant l’écran de cinéma il est Elliot (pour le plaisir nostalgique qu’entraîne une telle identification mais également parce que c’est la seule que nous offre le film), il est hors de la salle cet adulte dénué de perception.

Toutefois, Spielberg a l’intelligence de ne pas laisser la possibilité aux spectateurs de se voiler la face. Car si le spectateur rejette l’idée de s’identifier aux adultes, la perception du monde par les yeux d’Elliot n’est pas non plus dénué de critiques. Les adultes sont remis en cause mais finalement, Elliot est également porteur de ce gène de défaillance perceptive. Au personnage joué par Coyote, il déclare “il est venu à moi”. Et celui-ci de lui rétorquer “il est venu me voir aussi”. Le personnage de Coyote est la projection adulte d’Elliot. Il est ce qu’Elliot deviendra lorsqu’il aura grandit si il n’avait pas pu rencontrer E.T à un âge où il avait suffisamment d’innocence pour réussir à vouloir communiquer. Elliot ne va pas s’arrêter à sa déplorable rencontre dans les fougères (séquence traumatisante pour toute une génération). De par son innocence, il comprendra qu’il a eu aussi peur que la créature et dépassera son angoisse initiale pour noueur le contact. Pourtant, cette communication passe tout abord par un étrange rapport dominant/dominé où Elliot semble considérer qu’il pourra plus apporter à son compagnon extraterrestre que ce dernier a lui. Elliot reste une semence de la société humaine et est par conséquent contaminer par l’aliénation du monde des adultes. Si il a pour lui son innocence, sa perception du monde reste dictée par celle donnée par les adultes. Lorsqu’il fait faire son tour de la chambre, il lui montrera ainsi son bocal de poisson. “les poissons mangent la nourriture pour poisson. Le requin mange les poissons. Mais personne ne mange le requin” déclare Elliot. Comme le veut son éducation, il omet ainsi dans son équation de rabaisser l’homme au rang d’animal qui peut être un vrai prédateur pour le requin. Après tout, Spielberg l’a bien montré dans ce qui reste son meilleur film. Quitte à aller plus loin dans la private joke, Elliot sort ses figurines star wars et les présentent comme des jouets pour faire la guerre. Entre l’émerveillement des étoiles et la passion des guerres, Elliot semble faire (subir ?) son choix.

Elliot comprendra toutefois au fur et à mesure de ses échanges que E.T a tout autant à lui donner si ce n’est plus. Elliot voyait en E.T la possibilité de se construire un père de substitution après le départ de son père biologique (on notera qu’à un moment il enveloppera E.T dans une veste qu’on soupçonne récupérée à son paternel). Il assimilera au bout du compte le fait que E.T ne sera jamais son père et qu’il doit concevoir que son monde sera désormais dénué de figure paternel. Les problèmes du monde des adultes l’ont perturbé et il aura fallu la magie d’un autre monde pour qu’il puisse passer cette épreuve. Alors que la caméra s’avance vers lui après la poignante séquence des adieux, on sait qu’il a dépassé sa condition et qu’il saura ne pas reproduire les erreurs de ses aînés. Il est clair que si Spielberg a choisit des enfants comme héros, c’est justement parce que cette perception du monde est en cours de formation et que c’est ce moment dans leur existence qui en définiront une grande partie. D’ailleurs, lors de la poursuite finale, Spielberg transmettra l’idée en situant un passage de l’action au milieu d’un chantier en construction avec ses maisons à moitié finies. Une manière de symboliser cette jeunesse qui bien que prenant fondation dans une société défaillante ont encore toutes possibilités pour savoir ce que sera leur avenir. D’ailleurs, si Elliot dépasse sa condition, ça sera probablement le cas également de ses amis qui, après l’avoir charrié tout en subtilité sur l’existence de l’alien (it comes from Uranus ?), se joindront sans rechigner à lui lorsque E.T se révèlera à eux en s’échappant des volutes de vapeur d’une camionnette. Une image symbolique qui renvoie aux très nombreuses notions bibliques du film que se soit au niveau narratif (E.T débarque sur Terre, prend contact avec les hommes pour les rendre meilleur, meurt pour eux, ressuscite et monte au cieux à la droite du père) ou visuel (l’affiche et sa reprise du tableau de la création d’Adam par Michel-Ange).

Une fois n’est pas coutume, la version remasterisée est loin d’être un pur gadget et offre quelques ajouts forts intéressants. Non finalisée dans le montage original faute d’effets spéciaux performants, la fameuse scène de la baignoire s’inscrit parfaitement dans la logique d’aliénation de la société en montrant un Elliot dont le comportement un brin irresponsable aurait pu conduire à une catastrophe si l’organisme d’E.T n’était pas si différent du notre. Moins important mais tout aussi pertinent, cette version inclue une séquence de transition montrant comment le frère et la sœur d’Elliot retournent chez eux durant la fête d’Halloween. Anecdotique dans sa fonction, ce passage a surtout l’intérêt de montrer comment la célébration du 31 octobre vire au chaos avec une gigantesque bande d’ados foutant le bordel dans la banlieue. Il s’agit d’un parfait prolongement de ce que le montage originel montrait, à savoir la découverte par E.T des fortes étranges coutumes des terriens. On peut toutefois considérer que ce passage ironique (c’est la seule fois qu’E.T verra la société humaine s’animer en plein jour) rendu d’autant plus drôle par l’usage de la vue subjective (faisant ainsi ressortir l’incongruité du comportement humain) se suffisait à lui-même. Malheureusement, un autre changement a été considéré comme anecdotique alors qu’il est au contraire primordial : l’éviction des armes à feu. “Je les ai toujours trouvé déplacé” déclara Spielberg lors de la sortie de ce nouveau montage.

Une bien curieuse considération de la part du réalisateur, tant c’est justement leur aspect déplacé qui fait sens. Jugeons la chose : nous sommes face à une bande d’adultes (normalement considérés comme matures et responsables) qui se met à menacer des gamins en bicyclettes avec leurs armes. C’est presque l’ultime incarnation de la folie des hommes que dépeint le film depuis son début. Sans aucun prétexte, ils sont à deux doigts de détruire leur innocente progéniture parce qu’ils sont désaccords. En les remplaçant par de bêtes talkies-walkies, Spielberg annihile une bonne partie de la force du climax. La scène la plus célèbre du film s’en retrouve plus qu’amoindrie. Juste avant que les gamins prennent leurs envol, on a droit dans le montage original à un insert sur un fusil appuyé par le score de John Williams (prodigieux soit dit en passant). Ce plan se présente comme le dernier recours du monde des adultes sur la volonté de changement des enfants. Il crée un sentiment de terreur fugace rendant d’autant plus irrésistible le moment fantastique où les enfants décollent. En enlevant ce plan, la menace disparaît et le triomphe de la magie devient moins étincelant. Ajouté à la remastérisation discutable des effets spéciaux (qui, à l’instar des Star wars, font l’exploit de vieillir plus rapidement que les SFX originaux), cette version perd de sa valeur.

La perception de Spielberg sur sa propre œuvre semble avoir évolué avec le temps et cette faute de goût déséquilibre un film jusqu’alors parfait. Néanmoins, la qualité et l’importance d’un film comme E.T demeure. En télescopant intrigue science-fictionnelle, drame social et ambitions bibliques, Spielberg dépeint un monde malade qui doit accepter de se connaître elle-même. Un tel parcours étant rude, on est toujours prêt à accepter l’aide de n’importe qui, que ce soit un être venu d’ailleurs ou une oeuvre d’art. Si comme dans la séquence décrite ci-dessus il n’y a pas de magie en ce monde, il reste toujours celle que l’on veut bien créer et accepter de voir. Et Spielberg reste un des plus grands magiciens qui de par ses illusions nous conduit toujours la vérité.

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